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Karuta offensif ou défensif : suppériorité de l’attaque ?

30/11/2014 - Romain


Le Karuta offensif

Une fausse question que se posent beaucoup de joueurs lorsqu’ils débutent en Karuta est : doit-on se diriger vers un style offensif ou défensif ? Pourquoi une fausse question ? Parce que je ne peux pas décemment recommander à un débutant de pratiquer un Karuta défensif, pour de multiples raisons que je détaillerai plus loin. Cet article n’a donc pas pour vocation de vous aider à choisir, mais de vous convaincre de pratiquer un style offensif en vous expliquant les raisons derrière ce choix. Toutefois, je ne souhaite pas vous forcer à jouer de cette façon. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’écris tout ici en détail. Pour que vous compreniez la logique derrière ce style. Beaucoup de Japonais prônent la toute puissance du Karuta offensif sans savoir pourquoi, juste parce qu’on leur a dit de jouer de cette façon. Mais je ne souhaite pas que le Karuta français adopte cette mentalité. Je veux que chaque joueur comprenne pourquoi ce style est important lorsque l’on débute, et décide de l’adopter de sa propre volonté. Cette autonomie acquise aidera alors chaque joueur à développer son propre style de jeu avec le temps.

Je tiens tout de même à préciser que je ne me contente pas de répéter ce qu’on m’a appris. J’ai moi-même débuté avec un style très défensif, et si ce style me convenait en partie (notamment du fait que j’ai toujours préféré la défense à l’attaque), j’ai rencontré de nombreuses difficultés, que j’évoque dans le fond de cet article. Au final, j’ai progressivement fait évoluer mon style, si bien qu’aujourd’hui, mon style devient de plus en plus offensif (même si, en réalité, il est hybride). Bref, je suis on ne peut plus objectif quand j’affirme que le style offensif est plus formateur et globalement plus efficace. Certaines personnes peuvent s’en détacher. Mais cela ne devra se faire qu’après avoir accumulé une certaine expérience.

Mais avant tout, il me paraît important de détailler en quoi consiste le style offensif ou défensif.

Karuta offensif versus Karuta défensif : définitions

Adopter un style offensif ne signifie pas que vous ne viserez que les cartes de l’adversaire, mais simplement que vous les viserez en priorité, et par conséquent que vous passerez proportionnellement plus de temps sur leur mémorisation. Concrètement, cela signifie que s’il y a KASA chez l’adversaire et KAKU chez vous, en entendant le son KA, votre esprit se tournera vers le côté adverse. Idéalement, votre main sera dans le terrain adverse sur le son KA, de manière à pouvoir prendre KASA si la carte est bien lue, ou pour revenir sur KAKU dans le cas contraire.

A l’inverse, le style défensif vous fera viser en priorité vos cartes. Ici, donc, c’est KAKU que vous aurez à l’esprit.

Ce style orientera également vos envois de cartes. Un article y sera consacré, mais pour vous donner un exemple, si vous avez 3 cartes commençant par NA, et que votre adversaire en a 2, si vous pratiquez un style offensif, vous aurez tout intérêt à lui envoyer une carte en NA. De cette manière, en visant en priorité son terrain, vous aurez plus de chances d’avoir visé juste si la carte lue commence par NA.

Enfin, et mine de rien ça compte pour beaucoup, votre style déterminera également, de manière volontaire ou non, l’impact que vous subirez pour chaque carte que votre adversaire prendra. Pour présenter les choses simplement, avec un style offensif, vous faire prendre des cartes chez vous ne devra vous faire aucun effet, et au contraire, vous faire prendre des cartes chez l’adversaire devra vous frustrer. En d’autres termes, vous devez atteindre un investissement tel dans votre style que prendre les cartes de l’adversaire doit être une évidence pour vous (=j’attaque, il est donc normal que je prenne ses cartes), et perdre vos propres cartes doit également être naturel (j’attaque, mon adversaire attaque, il est donc normal que je me fasse prendre mes cartes).

Adopter cet état d’esprit est important car si vous jouez offensivement tout en vous préoccupant des cartes qu’on vous prend chez vous, vous aurez le sentiment d’être dominé par votre adversaire. Vous devez atteindre un état d’esprit tel que vous devez vous sentir avantagé sur le terrain adverse, et désavantagé sur le vôtre. Beaucoup de joueurs au début ont tendance à considérer que prendre ses propres cartes est plus facile, et sont donc plus frustrés quand ils se les font prendre, mais il est réellement important de se séparer de cette pensée pour jouer offensivement.

Enfin, un dernier point que je souhaite aborder avant d’entrer dans le vif du sujet est que la plupart de mes conseils se basent sur le fait que votre adversaire jouera avec un style offensif, tout simplement parce que 95% des joueurs jouent ainsi. Face à un joueur au style défensif (Pour l’instant chez Karuta France, Alice et moi-même sommes les seuls représentants), ou face à un joueur au style perturbant (Quentin, pour ne citer que lui) qui a pour effet de ralentir votre timing en bougeant extrêmement tôt, tous ces conseils ne seront pas valables. Mais ça ne devra pas vous empêcher de jouer votre style offensif jusqu’au bout. Et à partir du moment où ça ne concerne qu’une faible minorité d’adversaire, on reste dans l’exception, donc considérez que mes conseils s’avéreront efficaces face à la quasi-totalité de vos adversaires, surtout au Japon.

Cette présentation étant maintenant terminée, expliquons en quoi le style offensif est plus intéressant lorsque l’on débute.

I/ Un entraînement nécessaire

La principale raison pour laquelle il est indispensable selon moi de commencer à jouer avec un style offensif est que cela accélèrera vos progrès. La raison est simple : il est beaucoup plus facile de protéger que d’attaquer. Quand vous protégez, vous connaissez parfaitement votre emplacement, et vous êtes proche de vos cartes. Il est donc évident que vous serez avantagé par rapport à votre adversaire dans des conditions normales. A l’inverse, en attaque, vous n’avez aucun repère, vous devez partir de zéro à chaque partie, et vous êtes plus éloigné. Difficile alors d’être aussi rapide que chez soi. Pourtant, être capable de prendre des cartes partout est indispensable. Il est donc important de s’habituer à attaquer, et pour ce faire, il est nécessaire de pratiquer un Karuta offensif aussi tôt que possible. Vous prendrez ainsi l’habitude d’attaquer, et vous pourrez alors choisir votre style librement. Un attaquant saura comment défendre, mais malheureusement, un joueur n’ayant jamais fait que défendre aura bien des peines à commencer à attaquer.

II/ Un avantage considérable : la modori-te (prise retour)

Commençons par expliquer en quoi consiste la modori-te.

C’est une technique qui consiste à viser d’abord les cartes du terrain adverse, et de revenir chez soi lorsque l’on comprend que la carte lue n’est pas en face. Par exemple, si AKIKA est en face, et AKINO chez vous, vous partirez sur AKI chez l’adversaire, prendrez sur votre lancée AKIKA si elle est lue, ou reviendrez chez vous si c’est AKINO qui est lue.

L’un des intérêts de cette technique est que le mouvement de retour est bien plus rapide que le mouvement inverse (commencer par son terrain, puis aller chez l’adversaire). En outre, et c’est ça le plus important, le joueur défensif devra faire travailler sa mémoire après avoir identifié la syllabe déterminante (« la carte lue n’est pas chez moi » — « Où est-elle chez l’adversaire? »). En revanche, le joueur offensif, lui, n’aura aucun effort à faire. Dès lors qu’il a compris que la carte lue n’était pas celle qu’il visait (AKIKA), il n’a qu’à faire voler toutes les cartes du côté où il met AKINO.

Pour cette raison, il est important de changer la façon dont on mémorise les cartes, avec un style offensif. Pour les cartes rivales, on ne mémorise pas les deux côtés. On ne mémorise que le côté adverse. Pour reprendre notre exemple, si je joue offensivement, je retiens juste que sur AKI je fonce chez l’adversaire, et je prends la carte si c’est AKIKA. La seconde information que j’enregistrerai sera « si ce n’est pas AKIKA, je reviens chez moi ». De cette manière, à aucun moment on ne fait attention à AKINO, et les risques d’hésiter ainsi que de faire des fautes s’en retrouvent significativement réduits.

Un joueur défensif n’aura quasiment aucune chance de prendre la carte de l’adversaire dans ces conditions, et c’est ce qui rend le style offensif supérieur sur ce plan. Une modori-te maîtrisée sera votre meilleure arme sur les Wakare-fuda (« cartes séparées »), et cela en fait un argument important.

III/ On ne peut gagner sans attaquer

C’est un point extrêmement important qui ne doit pas être oublié. Plus on prend de cartes à l’adversaire, plus nos cartes diminuent en nombre, et par conséquent, plus les chances pour que le terrain adverse soit lu augmentent. Plus vous gagnez, plus vous serez obligés d’attaquer. Défendre dans ces conditions, c’est juste laisser à votre adversaire la possibilité de vous rattraper. Passer d’un style à l’autre, défendre quand on perd et attaquer quand on gagne est extrêmement difficile, donc mieux vaut s’habituer à attaquer, car dans le cas contraire, vous manquerez de la finition nécessaire pour terminer vos parties en gagnant.

Avec un style offensif, vous avez la possibilité de vous créer un véritable rythme. Plus vous prenez de cartes chez l’adversaire, plus vous pourrez exploiter votre style en attaquant. En bref, votre style devient auto-suffisant. Pour conclure sur cet aspect, le Karuta défensif est pratiqué pour ne pas perdre (si votre adverse a une grande avance, les chances pour que les cartes que vous visez soient lues augmentent, donc vous pourrez plus facilement réduire l’écart), alors que le Karuta offensif est pratiqué pour gagner. Et dans un sport où le mental a un impact énorme sur vos performances, cela peut souvent faire la différence.

IV/ Le Karuta défensif est plus risqué

Oui, le Karuta défensif est plus risqué. Pourquoi? Après tout, on vise des cartes dont on connait déjà l’emplacement, donc ce n’est pas difficile. La raison est évidente : votre adversaire et vous viserez les mêmes cartes. Par conséquent, même si un bon joueur défensif aura effectivement plus de chances de renverser une partie qu’il est en train de perdre, il devra lutter pour absolument toutes les cartes, là où le joueur offensif aura plus de facilités à prendre les cartes qu’il vise, puisqu’elles seront à moitié abandonnées par son adversaire. Il est donc au final plus facile de faire un bon match face à un adversaire fort en étant offensif, car on restera avantagé sur le terrain adverse. En revanche, en étant défensif, et face à un adversaire qui a une très bonne attaque, on n’aura absolument aucune chance de gagner, vu qu’il va nous prendre toutes les cartes qu’on visait. Et sur son terrain, il aura un avantage incontestable.

En bref, pour dominer un adversaire en jouant défensivement, il faut être absolument meilleur que lui chez soi. Et cela implique également souvent d’être plus rapide et/ou d’avoir un meilleur feeling. Car sans cela, c’est lui qui imposera son rythme. Bref, si vous n’avez pas une grande confiance sur au moins l’un de ces deux aspects, et qui vous permettrait à coup sûr de prendre de vitesse votre adversaire, jouer offensivement sera bien plus productif.

V/ Le Karuta défensif est plus sujet aux fautes

Et c’est probablement LA raison pour laquelle je déconseille ce style au débutant. Les fautes sont trop nombreuses si vous souhaitez bien jouer. La raison? Vous n’avez pas le « droit » d’abandonner les cartes de l’adversaire, sinon vous vous retrouverez dans l’incapacité de prendre la moindre carte chez lui, et il lui suffira donc d’en prendre quelques unes chez vous pour gagner. Mais si vous essayez de les mémoriser, cela va vous faire une double mémorisation, et il est fort probable que vous ayez une hésitation au moment de la lecture : « AKIKA, c’était chez moi ou chez lui? ». Là où l’attaquant n’a qu’à retenir la carte de l’adversaire pour revenir chez lui si ce n’est pas elle qui est lue, le défenseur doit enregistrer les deux. Et en plus du doute qui pourra s’installer, il sera également victime de la pression imposée par son adversaire, qui va foncer sur son terrain. L’adversaire fonce, « mince, il va me prendre de vitesse, je dois accélérer ! », le doute s’installe, je balaie avant la syllabe déterminante, mais c’est la carte en face qui est lue… Une différence de 3 cartes s’installe en une seule action.

C’est une situation qui arrive assez fréquemment quand on joue défensivement face à des joueurs offensifs. Et c’est la principale raison pour laquelle j’ai fait évoluer mon style, car je savais que continuer de la sorte ne me permettrait pas de limiter mon nombre de fautes.

Enfin, une autre raison qu’on peut relever expliquant le nombre de fautes plus élevé est simplement que notre terrain étant plus proche… on a moins de temps pour s’arrêter. Ces quelques dixièmes de seconde peuvent parfois suffire à s’arrêter et à réaliser que la carte visée n’est pas la bonne.

Conclusion : Donc pour résumer, comment jouer?

1. Passez plus de temps à mémoriser les cartes de l’adversaire que les vôtres. Et quand je dis plus de temps, c’est vraiment plus de temps.

2. Faites vous à l’idée qu’il est normal que vous preniez les cartes de l’adversaire, et que votre adversaire prenne les vôtres. Conditionnez vous à attaquer.

3. Envoyez en priorité les cartes sur lesquelles vous êtes bons, et gardez chez vous les cartes sur lesquelles vous êtes mauvais.

4. Concernant les cartes rivales, abandonnez votre terrain et ne visez que celles de l’adversaire. Ne prenez ces cartes chez vous qu’en modori-te.

5. Entraînez-vous à balayer. Il est difficile de jouer offensivement à moins d’avoir une pleine confiance en sa capacité à atteindre le terrain adverse. Donc habituez vous à foncer chez l’adversaire. Et cela passe nécessairement par une maîtrise de ce qu’on appelle le transfert de poids (faire passer son poids du côté où on veut aller, et avancer tout son corps dans la direction souhaitée).

6. Entraînez-vous à balayer en modori-te. Lorsque vous vous entraînez, faites très attention au timing, car c’est ça qui conditionne la réussite d’une modori-te.

Si parmi ces 6 conditions vous en trouvez ne serait-ce qu’une que vous ne remplissez pas, alors vous savez maintenant quoi travailler !

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