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Tournoi de Shinshun (2023)

Dernière mise à jour : 6 mars 2023

Bonjour à tous !


Un petit article un peu long où je voudrais vous raconter comment je suis passé B-kyu au tournoi de Shinshun. (Je spoile un peu, mais avec les réseaux sociaux tout le monde est déjà au courant donc ce n’est pas grave.)

Cet hiver, je suis parti au Japon un peu sur un coup de tête. J’ai appris qu’il y aurait deux tournois en janvier, mais pour y participer, aujourd’hui encore, même si on vient de l’étranger, comme le nombre de joueurs de karuta a trop explosé ces dernières années, il faut d’abord gagner à la loterie. Il y a donc Shinshun, prévu le 7 janvier, et Azuma, le 15 janvier.


J’arrive au Japon le 7 décembre, et j’apprends vers le 15 décembre que je vais pouvoir participer à Shinshun et, une semaine plus tard, que je suis également retenu pour Azuma. L’année dernière en ryugaku (échange universitaire), je n’ai eu l’occasion de faire que trois tournois, et ce sont seulement les deux derniers où j’avais réellement une chance de monter en dan. Dans ces deux tournois C-kyu, les organisateurs nous avaient répartis en blocs de 32 joueurs, il me fallait donc trois victoires pour obtenir la 3ème place et ainsi passer B-kyu, et deux victoires pour passer 2ème dan et pouvoir ainsi conserver mon C-kyu. Dans le premier tournoi, je me suis fait sortir de 3 cartes au premier tour et dans le deuxième, j’ai gagné les deux premiers matchs, ce qui m’a permis de passer 2ème dan et de conserver mon C-kyu, mais j’ai perdu d’une carte le troisième match qui m’aurait permis de monter de dan. Je crois que c’est l’une des plus grosses frustrations que j’aie jamais ressenties.


Après ça, je me suis rendu compte que je me suis fait remonter car mon attaque était trop faible et j’ai décidé de travailler sur ce point-là de mon karuta. Sur la fin du mois de mai, mon ratio de victoires à l’entraînement a explosé, mais il n’y avait aucun tournoi de prévu avant la fin de mon échange. En juin-juillet, j’ai donc passé un peu moins de temps au karuta pour rattraper un peu les cours et prendre le temps de profiter à fond du Japon.

C’est pour cela que lorsque j’apprends que je vais avoir deux nouvelles chances, je ne veux vraiment pas les gâcher, je veux tout faire pour n’avoir aucun regret à la fin de ces tournois. Je ne veux pas me mettre trop de pression non plus car je sais que cela a déjà joué contre moi par le passé, mais je veux quand même tout faire pour me préparer le mieux possible.

Dès le 8 décembre, je vais à l’entraînement et je perds de 2 contre un bon B-kyu et ensuite je gagne de 16 contre une D. Je suis un peu déçu de mon premier match car même si je fais un match serré, je trouve que j’ai complétement déconné. J’enchaîne les entraînements, et petit à petit, les sensations reviennent et je commence à enchaîner les victoires contre les B-kyu. Je me prends aussi de grosses claques de plus de dix cartes contre des A et une B très en forme, mais tout se passe plutôt bien.


On arrive au 28 décembre et c’est la fête de fin d’année de Suginami. Une fois les célébrations terminées, ils proposent de jouer des matchs et, comme au Nouvel An au Japon, il y a une pause d’une semaine dans tous les entraînements de karuta et que je ne vais pas pouvoir jouer pendant un moment, c’est l’occasion idéale de se faire un peu plus d’expérience avant le tournoi.


Je joue contre une C-kyu qui est plutôt en forme mais contre qui je n’ai jamais perdu, tout en ayant eu beaucoup de matchs très serrés contre elle. Je fais 5 fautes, elle enchaîne vraiment les super prises et je me fais éclater de 14. Je ressors de ce match vraiment sonné car je l’avais commencé dans un très bon état d’esprit ; je ne pensais pas me prendre une telle raclée. Le match d’après, je gagne de 11 contre une D, mais je ne suis plus vraiment là. Je rentre chez moi en me demandant ce qu’il s’est passé pour perdre à ce point. J’ai un tournoi dans dix jours, et je me dis que je n’ai plus rien à perdre, donc je décide de reprendre les entraînements persos quotidiennement. (J’avais peur que ces entraînements me fassent faire trop de fautes en match, mais même sans, je me suis retrouvé à faire 5 fautes et perdre de 14, alors je me dis que, perdu pour perdu, autant tenter le tout pour le tout.)


Finalement, j’ai l’occasion de jouer le 1er janvier et je perds de 13 contre un sixième dan très en forme sur le début du match puis je gagne de 6 contre un B.


Je rejoue à un entraînement universitaire le mercredi 4 et là, je gagne de 4 contre une D avec un match pas terrible où je me laisse un peu aller car je sens que je suis plus rapide qu’elle, mais elle accélère sur la fin, rendant le match plus serré que ce que j’aurais voulu. Le match suivant, je gagne de 15 contre quelqu’un qui vient de passer D au tournoi des jeunes pousses de Suginami fin décembre. Il a un karuta vraiment offensif et très dynamique. Au lycée, il faisait de la gymnastique avant de se mettre au karuta. Comme je le vois faire de très bonnes prises en attaque, ça me motive également à tout donner et je fais vraiment un super match ! Le match d’après, je gagne de 11 contre un C, mais j’ai l’impression qu’il ne joue pas vraiment à fond, qu’il bouge presque au ralenti. À la fin du match, je lui demande s’il était fatigué, et il m’assure qu’il y est allé à fond et a tout donné. Je pense que ce sont vraiment les entraînements persos qui aiguisent mes reflexes.


Le lendemain, je suis censé aller à l’entraînement de Suginami, mais j’ai oublié de réserver et l’entraînement est complet, du coup en plan B je me fais un petit restau de Gyoza avec des potes. (ダンダダン : une très bonne chaîne de gyoza/chachu, si vous passez au Japon, je vous la recommande vivement.)


Comme je suis en vacances au Japon et qu’à la base je suis plutôt nocturne, j’ai pris un rythme où je me lève plutôt sur le coup de midi qu’à 7 h du matin, mais pour le tournoi je vais être obligé de me lever aux aurores. Pour pouvoir me coucher tôt le vendredi soir, je fais donc exprès de ne dormir que cinq heures. Le réveille sonne et pendant toute la journée, je n’ai qu’une envie, c’est de faire une sieste, mais je tiens bon, je ponctue ma journée de trois petits entraînements persos d’une vingtaine de minutes chacun, et vers 22 h 30, je me couche.


La veille du tournoi, je dors très mal, je rêve qu’il y a un incendie dans la station de train qui me fait louper le tournoi, je me réveille à 2 h du mat’, mais je me rendors et à 7 h 20, je suis plutôt en forme. Voilà on y est !


C’est le premier tournoi de 2023 et il a lieu en même temps que les matchs de Meijin et de Queen, mais pour moi, tout ça est très secondaire et je suis uniquement concentré sur mon tournoi.


D’habitude le matin, je n’ai pas du tout faim, mais là je me retrouve avec un petit creux inhabituel alors je m’enfile une tablette de chocolat (avant de passer pour un gros morfal, je tiens à préciser que les tablettes de chocolat japonaises font 50 grammes).

7 h 45, je pars pour le tournoi, et vers 8 h 35, j’arrive sur le lieu, sachant que les inscriptions sont de 9 h à 9 h 30.


Je patiente tranquillement dans la file d’attente, je remplis ma fiche qui stipule que je n’ai pas le Covid et que je n’ai pas fait le tour du monde ces deux dernières semaines.

Un peu après 9 h, on entre dans la salle, je pose mon sac, et je vais à la réception confirmer mon inscription.


J’ai un peu de temps libre, je me balade dans la salle, je croise des gens de Suginami, et deux amis de Keio qui participent aussi en C.

Vers 9 h 35, on nous invite à nous asseoir sur les tatamis, la cérémonie d’introduction se termine plutôt vite.


Juste après, tout s’enchaîne très vite, et à 9 h 55, je me retrouve déjà à placer mes cartes. Le premier match prend du temps à se mettre en place, il faut dire qu’on est quand même 3 blocs de 64 en C et 2 blocs de 32 en E à jouer ce premier match, soit 256 personnes au total.

La mémorisation du premier match s’imprime instantanément dans mon esprit comme à chaque tournoi. Quand j’entends l’arbitre annoncer que les 15 minutes de mémo commencent, je connais déjà 90 % du terrain et en l’espace d’une minute, j’ai tout bien en tête. Je prends le temps d’aller aux toilettes, ce qui ne m’empêchera pas d’avoir envie d’y aller pendant tout le match, mais bon peu importe.


Le match commence et mon adversaire fait rapidement 2 fautes. Elle a du mal à entrer dans le match, mais ça ne dure pas longtemps. Cependant, grâce à ce petit moment d’inattention de sa part, j’ai déjà construit un écart de 5-6 cartes. Elle se ressaisit et enchaîne les bonnes prises, je me fais prendre ARIA chez moi qui était devenue ARI, à une vitesse folle, alors que j’avais hyper bien réagi dessus. Elle a aussi de très bonnes réactions chez elle, son terrain est dur à attaquer, mais je continue à faire des prises solides sans la moindre faute et, malgré son retour dans le match, je creuse l’écart.


Bientôt, il ne me reste plus qu’une seule carte alors qu’elle en a douze. Elle a SHINO chez elle, sur sa ligne du milieu à gauche (sachant qu’elle est gauchère), j’entends SHI… et je commence à me déplacer vers la carte, je n’ai pas encore entendu le NO, mais je sens qu’elle va clairement prendre la carte, j’accélère et je prends la carte, et là, j’entends …RA. Première faute du tournoi, le match reviens à 2-11. Je souffle un coup, je me reconcentre et je recommence à faire tourner la mémorisation à toute allure dans ma tête pour ne plus penser à rien d’autre. Je ne me souviens plus quelles sont les deux cartes qui ont été lues après ça, mais je les saigne toutes les deux avec de bons balayages, sans aucune hésitation, comme si ma faute n’avait jamais eu lieu et je gagne ce premier match de 11.


Du coté de mes potes de Keio, l’un gagne de 9, mais l’autre perd son premier match de 11 (contre mon adversaire du deuxième match, mais cela je ne l’apprendrai qu’après le tournoi et en passant, pour l’anecdote, elle passera aussi B-kyu au tournoi d’Azuma la semaine suivante). Celui qui a gagné son premier match est l’un des meilleurs C-kyu que je connaisse, et d’ailleurs l’an dernier déjà, je trouvais qu’il avait un niveau exceptionnel, je ne comprenais pas pourquoi il n’était toujours pas monté. (Il devrait y avoir deux tournois le mois prochain, on lui souhaite bonne chance !)


Gagner d’une dizaine de cartes est vraiment idéal car ça laisse un petit quart d’heure pour se reposer avant le match suivant.


Le match d’après commence, je ne le sais pas encore, mais je m’apprête à traverser l’enfer !

J’arrive face à mon adversaire, il me demande si on peut se décaler un peu sur les tatamis pour ne pas avoir la ligne de séparation des tatamis en plein milieu du terrain, j’accepte, on attend le signal et on commence à placer nos cartes.


Je n’ai pas vu de combien il avait gagné son premier match et c’est sûrement pour le mieux. Mais je vois tout de suite qu’il a le profil d’un bon joueur de karuta, un regard concentré et sérieux, un corps tout fin et sec dans un pull un peu ample. Cependant, je sais bien qu’il ne faut jamais se fier aux apparences et je fais ce qu’il y a à faire, c’est-à-dire me concentrer sur le match et mémoriser du mieux que je peux. Pendant la mémo, il y a cependant quelque chose qui vient me perturber, une seule de nos cartes est différente des autres, la carte est dans un vieux vert foncé, les hiragana n’ont pas du tout la même forme que d’habitude et j’ai tellement l’habitude de repérer les cartes d’un seul coup d’œil que d’un coup, un doute me vient, je n’arrive plus à savoir si cette carte est TACHI ou TARE, mais il me semble que c’est TARE et je la mémorise comme telle. Cependant, quand après avoir fini de mémoriser je passe aux toilettes, tandis que je prends le temps d’aller boire une petite gorgée d’eau, le doute me revient, je vérifie sur mon portable et la carte en question est en fait TACHI


Le match commence et il n’y a pas de doute, mon adversaire est très fort, plus fort que moi, en plus de ça je fais assez vite une faute et il commence à mener, mais pas tant que ça car j’arrive quand même à prendre des cartes. Il a vite 4 cartes d’avance. Je sens que je vais perdre ce match, je suis derrière, mais je me dis qu’il faut que je m’accroche, qu’on ne sait jamais ce qu’il peut se passer.


Pendant cette première partie de match, une pensée ma traversé l’esprit, je voyais cet adversaire hyper fort en face de moi, et je me suis dit, celui qui remportera ce match passera très certainement B-kyu. J’ai tout le temps des pensées parasites qui me viennent en tournois, mais dès l’apparition de celle-ci, comme pour toutes les autres qui viennent me déranger, je reprends la boucle infinie qu’est la mémorisation et, dans ma tête, la musique repend. (SA-SHIRA, SA-SHIRA HITO-HISA-HO-HANANO, HITO-HISA-HO-HANANO, MO-MICHI, MO-MICHI…)


Le match poursuit son cours, KOKOROA est lue chez lui en haut à droite, il la protège mais je passe parfaitement sa protection avec un timing excellent, toutefois il me conteste la carte. L’arbitre qui était à coté dit qu’elle a vu et lui donne la carte, j’étais vraiment persuadé de l’avoir eue donc ça me laisse un peu dubitatif mais bon c’est comme ça et le match continue. Un peu après ça, je déplace YAMA de ma gauche vers ma droite, il a YAE chez lui, YAMA est lue, juste après mon déplacement, il va à l’ancienne position et je peux la prendre chez moi ; je me dis que j’ai fait un bon choix, mais ça m’a juste permis de ne pas être trop loin derrière, car je suis toujours mené de 4 cartes, donc encore dans une situation bien compliquée.


Vers le milieu du match, il m’envoie TACHI et garde TAMA chez lui. Quand j’entends TA, je commence donc à me diriger vers TAMA avec un plutôt bon timing, et quand TARE est lue je reviens et je fais la faute sur TACHI : mon erreur de mémo au début de match encore gravée dans ma mémoire m’a coûté cher. Il fait également une faute sur ARIMA en allant un peu trop vite et en touchant ARIA chez moi, mais rien n’y fait, il est meilleur, fait plus de bonnes prises et je me retrouve à 4-8, dos au mur.


J’attaque mais mes cartes sont lues et on arrive à 3-7, puis je reçois YA alors que j’ai déjà YU et YO, je place les trois au même endroit et je commence à faire pas mal de balayages d’entraînement vers ces cartes. J’ai placé YA/YO/YU toutes à coté sur ma ligne en haut à droite, s’il les vise et qu’elles sont lues je n’ai aucune chance, mais si je les mémorise autant c’est parce que j’espère que si elles sont lues, mon corps réagira instantanément sans que j’aie à me concentrer dessus. Je pense que mon adversaire s’imagine que, vu tous les balayages d’entraînement que j’effectue au-dessus d’elles, je les vise, et il se met donc à viser mes autres cartes à gauche, sauf que je lui ai fait la technique d’attaquer sa droite tout en protégeant mes cartes placées en haut à gauche chez moi.


Une carte est lue sous ma main, puis il déplace ses cartes à droite, et je change de technique, la carte d’après, je déplace mes cartes à gauche, j’ai CHIGI, il a CHIHA. CHIHA et lue, j’arrive à la prendre et je lui envoie CHIGI, il a deux cartes et moi 4, TAMA est lue, je la visais, mais il me fait le modorite (attaque puis retour sur son terrain) d’une vie, l’un des plus rapides que j’ai jamais vus, c’est très propre, et on se retrouve à 1-4.


J’ai YU/YA chez moi, il a CHI chez lui et j’ai URA et TACHI sur la ligne en haut à gauche, je refais la technique d’attaquer en protégeant, CHIGI est lue et je la lui prends. Je regarde mes trois cartes et là, je me demande quelle est celle qui ne sera pas lue, je reste un moment, 15 ou 20 secondes à contempler URA/YURA/ et TACHI. Je réfléchis, et je sens que YURA ne sera pas lue alors je l’envoie. Je place mes deux dernières cartes en bas à droite et je les protège. TACHI est lue, elle est sous ma main et je la prends. On arrive en unmei-sen (chance du tirage), il y a une ou deux cartes mortes et puis URA est lue et je pose ma main dessus. À ce moment-là je n’en reviens pas du tout d’avoir gagné ce match, c’est tellement improbable, je me dis que la chance a vraiment une part importante dans le karuta. 運も実力だよ comme disent les japonais, mais pour avoir accès à cette petite chance, cette opportunité, j’ai clairement tout donné. Après ce deuxième match, je suis lessivé, au bout de ma vie.


Le troisième match commence, je joue contre un mec qui vient de la même association que la gagnante du tournoi français de novembre (apparemment, c’est une amie à lui). On mélange les cartes, on en prend 25 chacun et je commence à placer mon terrain. Cette fois, il n’y a aucune carte bizarre, ce sont les mêmes cartes que celles avec lesquelles on joue d’habitude, sauf que tous les numéros sont différents des cartes habituelles, je m’efforce donc de ne surtout pas les regarder pour éviter de me méprendre. Heureusement, il n’y a pas de souci et ça ne me fera pas faire de faute pendant le match.


Par contre, au troisième match d’un tournoi, la mémo commence à avoir plus de mal à rentrer. Dans ces tournois avec une promotion à la clef, chaque match est beaucoup plus intense qu’à l’entraînement et on se fatigue beaucoup plus vite, je pense que c’est assez difficile à imaginer à moins de l’avoir vécu. Le match commence et je suis épuisé du match précédent, mais heureusement mon adversaire n’est pas trop fort. Je prends une petite avance, mais je n’arrive pas à m’envoler pour autant. Mon adversaire n’est pas rapide, mais il ne fait vraiment pas d’erreurs et ça rend le match compliqué, et en plus de ça, il n’est pas non plus lent et reste assez régulier. Vers la fin du match, je prends une avance de 3-4 cartes, on doit se retrouver à quelque chose comme 8-12 en ma faveur. Le match continue avec le même rythme et là il fait une double faute sur AKE qui avait fait un aller-retour entre son terrain et le mien. C’était vraiment son match sans fautes et sans erreurs qui lui avait permis de garder la tête hors de l’eau et une faute aussi tard dans la partie lui est fatale : je peux envoyer deux cartes, il ne m’en reste que trois que je prends assez vite pour conclure le match avec une victoire de 8, ce qui est plutôt pas mal pour un match qui était globalement serré.


À la fin de ce troisième match, je suis plus détendu qu’à la fin du deuxième, je me suis laissé entraîner dans le rythme un peu plus lent et calme de mon adversaire, ce qui m’a permis de me reposer. À ce moment-là du tournoi, je suis le dernier en lice parmi les gens que je connais à Suginami et à Keio. S’ils avaient fait des groupes de 32 comme les tournois auxquels j’ai participé l’an dernier, je me dis que je serais déjà B-kyu, mais pour le tournoi du jour, ce sont des groupes de 64, et le passage en B demande donc quatre victoires.


Je regarde l’appareillement et je vois que mon adversaire a gagné tous ses matchs de peu de cartes, je me dis que ça peut le faire. Mais surtout à ce moment-là, je m’encourage : « Allez, encore une victoire ! » et puis, je m’efforce de ne pas trop y penser. J’arrive devant mon adversaire qui est vraiment petite, c’est difficile de savoir avec le masque, mais j’imagine qu’elle doit avoir 12-13 ans. La mémorisation rentre un peu mieux qu’au 3ème match et le match décisif pour le passage de dan commence. J’ai peu de souvenir des cartes de ce match, je me rappelle qu’elle avait les trois OO sur sa ligne en haut à droite et les deux HITO sur sa ligne en haut à gauche et pas grand-chose de plus. Le match commence et elle est vraiment rapide, surtout chez elle. Elle fait aussi quelques bonnes prises en attaque, mais je pense qu’à cause de sa petite taille, elle a plus de mal à attaquer que quelqu’un qui serait plus grand. Je me dis que c’est pour cette raison que ses précédents matchs étaient serrés, elle doit avoir du mal à finir contre ceux qui protègent sur la fin.


Dès le début du match, elle fait de bonnes prises. Mais j’arrive à bien protéger des cartes sur mon terrain comme KOKORONI où je suis au-dessus directement et elle me pousse sur la carte. Avant, c’était une carte que je protégeais souvent assez bien, mais ces derniers temps, je n’ai pas trop réussi à le faire et ça me fait donc plaisir de réussir cette protection exactement que je me l’étais imaginé en mémorisant les cartes. Elle m’envoie OOKE, puis OOE. J’ai l’impression de me faire prendre pas mal de cartes, et comme j’ai fait une faute bête et un peu lente sur AMANO/AMATSU chez moi au début du match, j’ai vraiment l’impression d’être en train de perdre, de ne pas du tout avoir le momentum. Je décide donc de compter les cartes rapidement pour voir où j’en suis, et il y a 19 – 19, je me dis que ça va être un match serré et que je ne peux pas me permettre une seconde de déconcentration. Je me rappelle avoir été très concentré tout le match, j’ai fait une bonne prise sur OOE qui était au milieu de mon terrain et que j’ai couverte très rapidement. J’ai pris AMA à toute vitesse alors qu’elle était chez moi et que je ne la visais pas. J’ai eu un peu de frustration sur WASURA et WAGASO où j’étais vraiment juste au-dessus au moment où la jumelle a été lue alors que finalement, je n’ai pas réussi à avoir WASU. Par contre, quand OOKE a été lue, j’ai réussi un très bon modorite dans la seconde d’hésitation que mon adversaire a eue et je pense que ça m’a bien mis dans le match.


Sur la fin du match, je crois qu’on fait tous les deux une faute, mais je n’arrive plus à être vraiment sûr. Je me rappelle que pendant très longtemps elle avait OO, INI, U et AWA ou une autre carte en A à deux syllabes, et que ces cartes passaient en boucle dans ma tête. Elle m’envoie INI que j’arrive à prendre chez moi, ce que je n’arrive pas à faire d’habitude. En revanche, pour OO, carte sur laquelle je suis très bon quand elle devient une 2 syllabes, mon adversaire fait une prise absolument magnifique et même si je suis juste un peu derrière, je ne peux rien faire. Ça fait mal de se faire prendre une carte en laquelle on avait confiance mais il n’y a qu’une chose à faire : rester concentré.


Vers la fin du match, alors qu’il doit y avoir 3-8 pour moi, j’aperçois, à une dizaine de mètres devant moi, mes deux amis de Keio en train de regarder mon match. Je me rappelle l’an dernier où j’ai perdu et je me dis que cette fois, peu importe que je gagne ou que je perde, je ne veux pas répéter les mêmes erreurs. Après ces quelques secondes de déconcentration, je me repasse les cartes de mon adversaire encore et encore en tête, je fais deux bonnes prises sur sa ligne du bas et je me retrouve à une carte. Je me rappelle encore m’être répété KI-SA-TA que je visais à fond, il y avait aussi CHI et WATA qui restaient sur son terrain, mais je ne les visais pas et chez moi j’avais WAGASO, avec WABI comme carte morte.

J’entends WA, je fonce sur WATA, et je ne sais pas si j’entends WAG ou si j’entends juste que ce n’est pas WATA, mais je reviens vite chez moi, ma main est sous la sienne et je presse ma carte. Il me faut une seconde pour comprendre que j’ai pris la dernière carte, mon adversaire commence à saluer et je salue en même temps, j’ai gagné le 4ème match, je suis B-kyu !


J’ai du mal à réaliser ce qui vient de se passer. Pour ne justement pas penser à ce qui allait arriver si je gagnais le match et me laisser déconcentrer, je n’ai pas du tout anticipé cette victoire et j’ai l’impression que ça me tombe dessus subitement. Je viens de gagner, et j’ai l’impression que je vais me mettre à pleurer, mais bon il faut ranger les cartes, annoncer la victoire aux organisateurs, saluer mon adversaire. Je prends quelques secondes pour souffler et je commence à m’activer.


Une petite minute plus tard, je descends du tatami avec les cartes en main, mes deux amis de Keio me félicitent et je vais rapporter les cartes à la table des résultats. J’ai vraiment du mal à croire que tout cela est bien réel et je me demande si je ne vais pas me réveiller d’un instant à l’autre. J’avais été tellement déçu de passer à une carte du B-kyu l’an dernier, surtout que je m’étais vraiment beaucoup entraîné avec cet objectif en tête. Cette fois, je ne le voyais pas vraiment comme un objectif et je ne voulais pas avoir trop d’attente envers moi-même, ou en tout cas, je m’efforçais de ne pas y penser.


Je regarde mon téléphone pour la première fois du tournoi et je vois que sur le Discord de Karuta France, ça a vendu la mèche et que tout le monde était au courant que j’étais en train de jouer le match décisif. Je peux envoyer un message pour dire que je viens de le remporter et souffler un bon coup. Pour moi, j’ai vraiment atteint à 10 000 % l’objectif de la journée et le travail est complétement terminé, pourtant il reste encore quatre personnes dans mon groupe, on est tous B-kyu, mais il faut encore jouer pour décider de la troisième place, du deuxième et du vainqueur.


J’arrive pour le 5ème match, et avant de placer les cartes on commence à discuter un peu et à plaisanter avec mon adversaire, maintenant que le plus important est passé, l’atmosphère est tellement détendue. Je mémorise comme je peux, mais ça ne rentre pas du tout. Le match commence, je fais une faute et ça me fait presque rire, les contestations se font à l’amiable, car on est tous les deux ok pour laisser la carte à l’adversaire. Mon adversaire est rapide, mais le match se passe vraiment bien pour moi, les bonnes cartes sont lues, les cartes que j’ai oublié de mémoriser sont lues juste après que je m’en sois rendu compte. Après quelques prises, je commence à être de plus en plus concentré, mais j’ai toujours le cœur hyper léger. Mon karuta est moins stable que les matchs d’avant, mais comme je suis plus détendu, je fais aussi quelques très bonnes prises. Je me souviens notamment de TAKI sur sa ligne en bas à droite que j’ai prise si vite que j’en étais moi-même surpris. Le match est vraiment agréable, je me sens léger, je n’ai pas l’impression que mon adversaire va me faire des contestations injustes et lorsque j’ai moi-même un petit doute, je n’ai aucun souci à lui laisser la carte. Je ne me souviens pas vraiment des cartes, mais le match était très agréable et je gagne de 11.


Juste après, c’est la finale, je rencontre quelqu’un qui fait partie du club de l’université de Tokyo (Toudai) mais qui va en fait à l’université des langues de Tokyo (Gaidai) et qui se trouve être un kouhai (élève plus jeune) de Camille. On discute un peu en plaçant nos cartes, il est assez sympa et il me dit qu’il apprend le français. Le match commence et NAGEKE est lue chez moi, on la touche plus ou moins en même temps, mais je n’ai pas envie de me prendre la tête, je lui dis que je pense qu’on l’a touchée en même temps mais que s’il pense vraiment l’avoir eue avant, il peut m’envoyer une carte. Un peu plus tard dans le match, NANISHI est lue, il hésite et je passe sous sa main, je tape la carte un peu avant lui, mais il est convaincu de l’avoir eue avant, je m’explique mal devant l’arbitre qui lui donne la carte.

Je commence à perdre patience : toute la journée, l’arbitre n’a fait que donner les cartes à mon adversaire alors que je sais pour avoir filmé et regardé énormément de mes matchs, que je me trompe certes, mais clairement pas aussi souvent. Pendant l’allongement et le silence de la carte suivante, je jette un regard noir à l’arbitre et une carte chez moi que mon adversaire visait est lue, je me la fais saigner.


Ça m’a soulé de me faire contester comme ça en finale alors que je lui avais laissé la première carte de bon cœur, je suis B-kyu et ça me suffit, à ce moment-là, la deuxième place a peu d’importance à mes yeux, mais soudain, je n’ai plus envie de laisser facilement la première place à quelqu’un qui conteste autant. Et je commence à faire tourner la mémo dans ma tête autant que dans les premiers matchs du tournoi quand il y avait encore l’enjeu du passage B-kyu. HA est lue chez mon adversaire, je balaie la bonne ligne et la carte sort à peine du terrain, cependant la carte de sa ligne du bas se décale aussi d’un peu plus d’un centimètre ; si on regarde par rapport à la carte du bas, il a donc la carte, mais HA (HANANO est bien sortie) et c’est d’ailleurs pour ça que je ne suis pas allé toucher la carte une deuxième fois après ma prise. Encore une fois ça discute, encore une fois l’arbitre lui donne la carte et ça m’agace. J’en ai marre que ça se passe comme ça et de ne pas pouvoir jouer mon match tranquillement. Je demande donc à l’arbitre qui est intervenu s’il ne veut pas arbitrer notre match. Il confirme avec l’arbitre en chef et s’assied à côté de nous.





Je peux enfin jouer sans risque de me faire contester les cartes que j’ai eues à 100 %. C’est d’ailleurs ce qui se passe un peu plus tard sur KI, il touche sa ligne à l’intérieur un peu avant moi, mais je balaie et j’envoie voler directement la carte. Pour moi, il était impensable de contester cette prise, mais il le fait quand même devant l’arbitre. (C’est ce qui me fait penser que, pour les deux premières prises aussi, il devait vraiment être convaincu de les avoir eues, parfois on veut tellement gagner qu’on se met à déformer la réalité.) Mais cette fois, l’arbitre est là et a vu la prise, on peut donc lui demander directement sans avoir à expliquer ce qu’il s’est passé et je peux récupérer la carte. Je commence à gagner de 7-8 cartes et il passe en mode défensif, 2 cartes à gauche et 8 cartes à droite qu’il protège systématiquement, mais je continue à attaquer, j’arrive à prendre une de mes cartes, une de ses cartes et forcément, avec la pression, il finit par faire une faute sur AI alors qu’il avait ASA et AKE et on passe donc de 1-8 à 0-9 et je remporte la finale.


C’était très désagréable d’autant se faire contester les cartes en finale et d’avoir l’impression d’avoir l’arbitre contre moi alors qu’il n’avait rien vu et entendait uniquement nos explications. Il est venu me voir après le match et m’a expliqué qu’il fallait que je fasse attention car si je me comportais comme ça, j’allais donner une mauvaise image de la France et de Karuta France. Bien sûr il a raison, mais c’est quand même assez frustrant de se dire qu’un Japonais peut nous contester les cartes autant qu’il veut et que finalement, on retiendra qu’il y a eu des contestations dans un match avec un Français alors que si ça avait été un match avec des contestations entre deux Japonais, ce serait passé pratiquement inaperçu. D’ailleurs, j’ai vu qu’il avait aussi pas mal contesté pendant la demi-finale et l’arbitre n’est rien venu lui dire.


Il est tard est la remise des prix se passe, assez vite, en petit comité avec les gagnants et ceux qui sont restés encourager jusqu'à la fin !





Le tournoi a commencé à 9 h 30 et il est 20 h 20, je suis absolument éreinté, il ne me reste plus une once d’énergie.


Le lendemain, je suis complétement rincé, j’ai des courbatures partout, j’ai du mal à fermer la main droite à force d’avoir fait des balayages d’entraînement pendant les matchs, mais je suis vraiment très content d’être enfin passé B après tant d’années. Je suis content d’avoir pris ma revanche sur mon dernier tournoi où j’avais perdu le match décisif d’une carte, et je suis content de m’être prouvé à moi-même que je pouvais jouer convenablement sur six matchs d’affilé en tournoi.


Aujourd’hui à l’entraînement, j’ai un ratio de victoires contre les B qui doit être à peu près de 60 %, mais si on veut avoir une chance de passer A, il faut au moins 80 % de victoires contre les B et 50 % de victoires contre les A. J’en suis encore loin et pour y arriver, ça va demander du travail. Donc pour le moment, je vais tranquillement profiter de la fin de mes vacances au Japon.


Une fois rentré en France j’espère avoir le temps d’écrire plus d’articles sur le karuta, des articles avancés qui expliquent par exemple comment bien mémoriser avant et pendant le match, quelles sont les différentes stratégies que l’on peut adopter en fin de match, comment s’entraîner efficacement si notre but est de progresser au karuta et de devenir le meilleur possible.


Comme autre objectif, je veux terminer les articles pour apprendre les cartes avant le JE 2023 et aussi organiser la meilleure édition possible du deuxième tournoi avec passage de dan de Karuta France ! Merci à tous d’avoir lu jusqu’ici, je vous souhaite une excellente année 2023 avec toute la réussite possible au karuta et dans tout le reste !


Gabriel le 20/01/2023

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