Bonjour à tous,
Mon échange au Japon se termine bientôt et dimanche dernier, en rentrant de l’entrainement, je me suis rendu compte que je venais de faire mon 500ème match depuis que je suis arrivé au Japon. Je rentre en France à la fin du mois et je n’ai plus aucun tournoi de prévu, cet article sera donc un peu la conclusion de cette année de karuta.
Avant de partir au Japon je m’étais un peu entrainé pour essayer de ne pas arriver trop rouillé. Fin octobre, après les deux semaines de quarantaine, je me retrouve à perdre mon premier match de 16 cartes contre une C kyu. Au fils des semaines je commence à petit à petit arriver à gagner plus ou moins un match sur deux contre les C kyu, mais j’ai l’impression que le niveau à beaucoup monter par rapport à mon dernier voyage.
Mi-novembre je me retrouve à jouer un match contre Sagayama-san, un A kyu 5ème dan. Je perds le match de vingt cartes sans trop comprendre ce qui vient de se passer. Une attaque hyper solide et j’ai beaucoup de mal à prendre mes cartes à moins de les viser et encore. En plus de cela, impossible de prendre son terrain, même quand il attaque les retours sont instantanés et je ne peux rien faire.
Fin novembre, je vais à mon premier entrainement à Keio, l’ambiance est vraiment sympa et je me rends compte que les C kyu de Keio ont un meilleur niveau que les C kyu de suginami ce qui ne me rassure pas vraiment pour les tournois.
En janvier, je vais faire une journée d’entrainement à Gunma. Je perds 4 matchs sur les 5, et je joue notamment contre un A kyu qui a une particulièrement bonne affinité avec la lectrice qui se trouve juste à côté. Il prend vraiment les cartes très tôt et fait peu d’erreurs. Ce sera l’élément déclencheur qui me poussera à faire plus attention à la lecture et à réaliser combien c’est un point clef au karuta. Peut-être qu’on peut comparer cela aux différentes surfaces sur lesquels peuvent avoir lieu les matchs de tennis.
Une semaine plus tard, j’ai mon premier tournoi, je gagne le premier round, mais le match suivant, je joue contre un adversaire clairement plus fort que moi et je perds de dix cartes sans vraiment avoir une chance.
Les mois passent et, pendant les grandes vacances de printemps, je fais vraiment beaucoup de karuta. Je commence à réfléchir sur mes défauts et comment y palier et petit à petit je commence à vraiment progresser. Il m’arrive de plus en plus régulièrement de sortir d’un entrainement avec que des victoires. Je commence aussi à aller jouer à Minami-Tama le dimanche qui est un club vraiment sympa.
Début mai, j’ai deux tournois. Le 1er mai se déroule tournoi de Tama où je perds au premier round de trois cartes en craquant un peu sous la pression à la fin du match. Mon adversaire passera B kyu en gagnant les deux matchs suivants de plus de dix cartes. Puis le 5 mai a lieu le tournoi étudiant. Je gagne le premier match d’une carte contre une adversaire meilleure que moi et aussi l’adversaire la plus forte que j’ai croisée jusqu’ici en tournoi. J’ai beaucoup de chance sur les cartes à la fin. Arrivé à 2-1 en sa faveur, je protège et mes deux cartes sont lues à la suite. Je termine ce match littéralement tremblant. Mon adversaire me salue avec un grand sourire, comme si elle était contente d’avoir fait un bon match, je ne sais pas comment elle fait. Le match suivant, mon adversaire est plus faible et la lecture est parfaite pour moi, je gagne de quatorze. Vient ensuite le troisième match, le match décisif pour passer B kyu. Mon adversaire fait des prises très rapides, mais aussi des fautes et je prends l’avantage. Je me retrouve à mener. J’ai deux cartes alors qu’il en reste encore dix chez elle. Après cela, c’est le début d’un cauchemar, aucune de mes cartes ne sera lue, je toucherai à 3 ou 4 reprises la carte en même temps qu’elle, deux fois j’aurai des excellents timings sur des cartes mortes. Arrivé à une carte partout, je finirai par perdre à la chance du tirage.
Parfois on se demande ce qu’on a fait et pourquoi les choses se passent d’un seul coup aussi mal. Alors c’est clair, mon attaque était trop faible et il y a deux ou trois fois ou une carte que je ne visais pas a été lue et où mon adversaire n’a pas été si rapide. Néanmoins, même contre des gens d’un plus haut niveau, c’est la première fois de ma vie que je perds un match aussi bien engagé et il faut que ce soit le match décisif pour passer B kyu.
Fort de cette frustration, je décide qu’il faut absolument que j’améliore mon attaque pour être capable de conclure les matchs et de ne plus jamais revivre cela. Au même moment, je sens que mon karuta progresse, je me mets à gagner contre les B kyu plus souvent que je perds, je gagne aussi contre plusieurs A kyu et j’arrive à voler de cinq cartes un match à Iga-kun et à Sagayama-san qui sont tous les deux 5ème dan. Durant les trois semaines qui suivent cette défaite frustrante au tournoi étudiant, je joue clairement le meilleur karuta de ma vie.
Le mois de juin est plus maussade. La saison des pluies arrive, je ne fais plus des aussi bons matchs et petit à petit la confiance en moi que j’avais acquise se fait la malle. Le temps est gris, les professeurs donnent beaucoup de devoirs et notent au couteau. J’apprends qu’il n’y aura plus de tournoi auquel je pourrai participer jusqu’à mon retour en France, la motivation dégringole.
Je continue malgré tout à jouer, je fais de temps en temps quelques bons matchs, mais je ne gagne plus contre les A kyu un minimum compétant, je me remets à perdre de temps en temps contre les C kyu et je gagne un peu moins contre les B kyu.
Le mois de juillet arrive. Je ne joue plus qu’entre 6 et 8 matchs par semaine ce qui est bien peu par rapport à mon rythme d’avant les tournois. Vendredi dernier j’ai perdu de 2 cartes contre Miyoshi-san avec une lecture qui me plaisait. J’ai l’impression d’avoir joué de la pire mal chance. Elle a pris cinq ou six cartes à trois syllabes trop vite mais n’a fait aucune faute. Sur la fin de match, les unes ou deux cartes qu’elle visait parmi une dizaine ont été lues un nombre de fois indécent. Ce genre de match n’arrive que très rarement, mais à chaque fois je me demande quel est le bon mode de penser à avoir. Est-ce qu’il faut se dire qu’on n’a pas eu de chance et que ce n’est pas grave, après tout ce n’est qu’un match sur cinquante qui se passe comme ça. Ou alors, est-ce qu’il faut réfléchir à comment on aurait pu gagner même dans ces conditions ?
Le deuxième match je joue contre une F kyu qui vient au club depuis deux mois. C’est Suzune-chan à la lecture. (Elle a neuf ans, les gens de suginami trouvent qu’elle lit assez bien, mais j’ai vraiment du mal avec sa voix suraiguë, néanmoins j’ai déjà gagné des matchs plusieurs fois contre des gens de mon niveau avec sa lecture.) Je ne fais pas un bon match, mais je ce n’est pas catastrophique non plus, je fais une seule faute et je fais quelques bonnes prises, mais je ne peux rien faire. Je vois à ses manières, sa façon de replacer ses cartes et son comportement que mon adversaire ne fait pas du karuta depuis longtemps, mais elle est simplement trop forte et je perds de onze. Sur ce match je n’ai clairement pas joué de malchance et avec une autre lecture, j’aurais très certainement aussi perdu. Sur le chemin du retour, je me dis qu’il y a vraiment des joueurs qui ont du talent. Je devrais être frustré par cette défaite, mais je ne le suis pas. Ces derniers temps je crois que mon objectif c’est davantage de jouer un bon karuta que de gagner. Cela rend les défaites faciles à digérer, mais j’ai peur que, sur le long terme, cela finisse par entamer ma motivation.
Le dimanche, je vais à Minami-tama. Je fais 4 matchs contre une C kyu, une B kyu, un D kyu (assez fort contre qui j’ai déjà perdu) et une autre D kyu. Je gagne tous mes matchs de respectivement 14 – 6 – 10 et 14 cartes ce qui est plutôt un très bon résultat. Pourtant, j’avais peu dormi la nuit précédente, je ne me sentais pas spécialement déborder de motivation et je n’avais pas spécialement d’attente vis-à-vis de moi-même. Vouloir gagner est à mon sens très important, mais au karuta être calme est aussi un facteur essentiel qui permet de bien jouer.
Je vais rentrer du Japon avec mon deuxième dan, mais à une carte du troisième dan il a quand même un goût amer. J’ai fait beaucoup de bons matchs à l’entrainement et j’ai gagné contre certains joueurs qui me semblaient imbattables quand je suis arrivé ici. Tout cela devrait me donner confiance en mon karuta, mais ces derniers temps je ne fais que douter. J’ai l’impression d’avoir des mauvais réflexes et une oreille qui n’entend pas si bien que cela.
Ce qui est sûr, c’est que pendant ce voyage j’ai appris beaucoup de choses sur le karuta. Faire tous ces matchs m’a définitivement permis d’acquérir beaucoup d’expérience et aller au Japon un an en échange et pouvoir faire du karuta à volonté c’est aussi un peu un rêve qui s’est réalisé.
Cette année où j’ai pu me donner à fond pour dans le karuta m’a rappelé l’année de mes débuts. Cinq ans les séparent, mais ce sont deux années où je me suis donné à fond et qui se sont toutes les deux concluent par un dan. J’ai été un peu frustré de ne pas avoir pu faire plus de tournois à cause du covid. Sur une année « normal » j’aurais sans trop de problèmes pu participer à une dizaine de tournois.
Je pense que la leçon la plus importante que j’ai retenu de cette année et après avoir joué autant de matchs, c’est que faire des matchs n’est pas le meilleur moyen de progresser. Si on compare cela au basket ou aux échecs cela peut sembler évident. Les matchs permettent d’acquérir de l’expérience en situation réel, mais si on ne travaille pas ses erreurs après le match et qu’on ne fait pas des entrainements spécifiques à côté (dribble, endurance, shoot) (ouvertures, fin de partie, résolution de problèmes), c’est illusoire de penser progresser. Une fois rentré en France, je pense écrire des articles où j’essaierai d’expliquer tout ce que j’ai pu apprendre sur le karuta, aussi bien, sur la bonne manière de s’entrainer que, sur la stratégie et les tactiques qu’on peut utiliser en match.
C’était le dernier article de mes aventures de joueur de karuta en tant qu’étudiant en échange au Japon. Merci de m’avoir lu, j’espère bientôt tous vous revoir à l’entrainement en France.
Je vous souhaite à tous un bel été.
Gabriel
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