15/09/2013 – Romain
Et voici les résultats du dernier tournoi, avec mes impressions. Il s'y est passé des choses plutôt intéressantes, donc je vous invite à y jeter un œil.
Déjà, il faut savoir que ce tournoi était assez spécial, car demandait 7 victoires pour remporter la première place, contre 6 en temps normal. Il était donc un niveau au dessus de la moyenne.
Le premier match est une victoire par défaut, rien à dire donc, si ce n'est que j'ai pu passer du temps avec les joueurs de Kyôdai.
Le deuxième match a été un festival défensif. Mon adversaire n'était pas extrêmement forte, mais plus que ça, mon côté a été imprenable. Au sens propre du terme. Victoire de 17 cartes, 2 fautes chacun, et pas une seule carte prise de mon côté par l'adversaire.
Mon attaque était assez faible, mais cela m'a quand même bien mis en confiance.
-Le troisième match a probablement été l'un de mes meilleurs matchs depuis que je joue au Karuta. Défense, attaque, tout était précis, en balayage, une seule faute au final, un match parfait sur tous les plans comme j'en fais rarement (j'ai la sale manie de perdre mon rythme en cours de partie, ou d'avoir une attaque un peu faible). Victoire de 19 cartes contre un joueur pourtant plutôt bon, de Tôdai.
Les choses se sont malheureusement gâtées au 4e match. Honnêtement, je dépassais en tous points mon adversaire. Je réagissais bien plus vite, et mes mouvements étaient plus rapides. Seulement celle-ci a utilisé une tactique assez détestable, consistant à inverser 2 cartes (droite et gauche) à chaque tour. J'arrivais à suivre à peu près au début, mais au bout d'un moment, j'ai commencé à perdre mon rythme, et à balayer là où se trouvait avant la carte. Résultat, j'ai dû perdre facilement 6 cartes comme ça, alors que je réagissais extrêmement vite. La mémorisation précise de l'emplacement des cartes a toujours été mon point faible, et cette tactique m'a complètement détruit. Au moins, cela m'aura permis d'identifier parfaitement l'un de mes défauts, que je vais devoir m'efforcer à corriger.
Pour information, la tactique utilisée n'est pas correcte du point de vue des manières, mais reste dans les règles, donc je ne pouvais rien dire. Cela dit, un joueur comme ça ne pourra pas aller bien loin.
L'avance assez nette que j'avais réussi à obtenir s'est vite réduite, jusqu'à ce que je me fasse dépasser. Il faut ajouter à cela que le terrain adverse sortait beaucoup, et que mon adversaire contestait des prises assez évidentes car elle ne regardait pas les cartes. Son argumentation était du niveau "pourtant j'ai senti que j'avais touché la carte".
Puis elle a menti. Là, je dois avouer que ça m'a un peu tué, mais sur "yononakayo", chez moi, on réagit à peu près simultanément, mais j'ai la main un peu plus basse. Elle m'écrase la main tout en touchant la carte, mais le résultat est que moi aussi je touche la carte. Bref, la prise était simultanée, et aurait donc dû être mienne. Seulement voilà, mon adversaire me sort qu'elle n'a touché que la carte, et qu'elle n'a pas senti ma main (=je n'ai donc pas pu la prendre en même temps vu qu'elle ne l'a pas écrasée). Après une minute de dialogue de sourd et 10 secondes de silence, je décide de prendre la carte qu'elle m'envoyait sans dire un mot, un peu la rage au ventre.
Plus tard, je prends "Kaku" (chez elle) aussi vite qu'elle, mais contrairement à elle, je touche la carte directement. Quand j'essaie de lui envoyer une carte, elle refuse, me disant qu'elle a été plus rapide. Je lui demande si elle a balayé directement, elle me répond qu'elle a tout balayé, ce à quoi je rétorque "par conséquent, nous sommes d'accord pour dire que vous n'avez pas touché Kaku directement? Dans ce cas, je me permets de vous envoyer une carte", et hop, discussion terminée. J'étais plutôt content de moi (j'avoue mettre inspiré de Tsukuba dans Chihayafuru quand j'ai dit それでは、札を送らせていただきます)
Le match continue avec des erreurs de mémorisation de ma part, mais je parviens à compenser grâce aux cartes qu'elle ne changeait jamais de place (comme Tama), et grâce à ma vitesse de réaction qui a eu pour effet de la faire douter sur certaines prises (elle suivait ma main).
On arrive enfin à 1 vs 2 pour moi, avec Tsu chez moi, Mi et Me chez elle. Puis elle décide à nouveau d'inverser ses deux cartes. J'avais le sentiment que "Tsu" ne sortirait pas, et j'étais donc en mode offensif. "Mi" est lu, et je fonce sur... "Me"... Mais mon adversaire me suit, et réalisant mon erreur, je fonce vers "Mi" en contournant tant bien que mal son bras (contorsion max) pour finalement écraser "Mi" d'un mouvement assez approximatif, suivi de près par mon adversaire... Qui conteste... Evidemment.
Là, je me montre extrêmement sûr de moi, "non, là, c'est indiscutable, j'ai touché la carte avant", mais elle n'en démord pas, continuant de dire qu'elle a senti qu'elle avait touché la carte (je sentais qu'elle n'avait pas confiance en elle d'ailleurs).
Là, l'arbitre (qui regardait, car on arrivait en fin de partie) nous demande "voulez-vous que je tranche? Si vous ne me le demandez pas, je ne peux pas intervenir", je dis alors aussitôt "onegai shimasu", et il m'accorde la prise.
S'il n'avait pas été là, je ne sais vraiment pas ce que ça aurait donné. Surtout qu'en temps normal, à part en A Kyuu, il faut attendre le Unmeisen pour qu'un arbitre vienne nous voir. Par chance, nous étions le dernier groupe encore en jeu.
Après le match, l'arbitre est allé voir mon adversaire, et lui a dit "vous savez, vous devez apprendre à regarder les cartes quand vous les prenez, cela rend votre mouvement plus rapide, et cela évite de faire des contestations trop souvent".
J'étais vraiment heureux qu'il lui fasse la remarque.
Victoire de 2 cartes donc, qui a eu pour résultat de me faire jouer mon 5e match sans pouvoir prendre la moindre pause, alors que j'en avais extrêmement besoin après un match aussi éprouvant.
-Le 5e match commença très bien, avec un Karuta polyvalent et efficace de mon côté, face à un adversaire qui place beaucoup de cartes au milieu. Ayant de l'avance, je me permets des envois de cartes assez osés pour regrouper un maximum, ce à quoi il répond en séparant à fond et en mettant d'autres cartes au milieu. Stratégie qui a payé, puisque que comme à mon habitude, c'était toujours la carte jumelle que je ne balayais pas qui était lue.
Toutefois, je conserve mon avance, et je me crée un bon rythme en faisant un watari-te magnifique sur "Tsuku" et "Tsuki". Mais je fais une faute idiote sur "SU" (qui est chez lui, et je balaie "SE" chez moi), ce qui lui permet de se reprendre. Et d'un coup, il devient bien plus incisif dans ses mouvements. Là-dessus, le match s'équilibre complètement, avec de belles prises de chaque côté, mais je conserve mon avance jusqu'à phase final du match... efforts qui auront eu pour résultat de détruire ce qui me restait d'endurance. Le match précédent m'ayant épuisé, je commence à oublier l'emplacement de beaucoup de cartes, et je perds de ce fait 3 ou 4 cartes de manière assez idiotes. Arrivé en phase final, il nous reste 8 cartes chacun, et le vent souffle plutôt de son côté. Pourtant, j'arrive à faire une prise parfaite sur "Tsuku" chez lui, puis à protéger avec précision une de mes cartes, si bien que je me crois inverser la tendance... Jusqu'à l'erreur la plus bête possible : balayer dans le vide une carte chez soi. Je balaie extrêmement vite dans la direction de "Yuu", mais juste un peu trop haut, si bien que je me fais prendre la carte. Et là, ma concentration disparaît. Je fais une protection parfaite sur "Kimigatewo" chez l'adversaire... Pour réaliser que la carte était à gauche et non à droite. Et je réalise que je ne sais plus où sont les cartes. J'arrive tant bien que mal à prendre 2 ou 3 cartes, mais mon adversaire ne laisse pas passer mes erreurs, et une faute vient me porter le coup de grâce. Nous en arrivons à 5 - 1 cartes, avec en plus "Aki" chez moi, et "Ake" chez lui. A ce stade, je savais que je ne pouvais plus rien faire, car je suis incapable de faire la distinction rapidement entre les deux sons. Cela a pour effet de faire s'envoler le peu de concentration qu'il me reste, et je me fais voler "ME", m'arrêtant ainsi à quelques pas du podium.
Résultat, défaite de 5 cartes, face à un adversaire d'un très bon niveau, la raison étant évidente : j'ai manqué d'endurance à cause du match précédent. Mon adversaire aura d'ailleurs au final remporté la 1ère place, et me dira à la fin : "de tous mes matchs de ce tournoi, le notre aura de loin été le plus difficile".
Je regarde à côté de moi, et Fujiharu, étoile montante de Kyôdai, mène 2 à 3. Seulement je le vois épuisé, et se faire percer sa défense à deux reprises sans réagir. Puis il se porte lui-même le coup de grâce en commettant une faute. Notre fin aura été assez similaire.
Ce tournoi étant plus difficile que la moyenne, une défaite au 5e tour ne vaut "qu'une" 4e place, et donc pas de passage au 2e Dan. Pour information, 1 victoire par défaut et 3 victoires valent en théorie une montée en grade (j'ai donc eu un peu le sentiment de m'être fait voler mon 2e Dan).
La défaite est donc amère sur le moment, mais après réflexion, cela valait peut-être mieux ainsi. J'ai réalisé d'excellents matchs, mais passer 2e Dan ne vaudrait rien en soi si je ne suis pas capable de sortir le meilleur de moi-même en toutes circonstances. Si mon niveau d'hier était mon véritable niveau, alors je n'aurai aucune difficulté à passer 2e Dan lors de mes prochains tournois. Et si au contraire j'étais juste particulièrement en forme, et que je n'arrive pas à régler ce problème d'inconstance, alors c'est que je manque encore d'entraînement (espérons que mes épaules guérissent).
J'aurai en tout cas réalisé que la "passion", la "rage", la "pression" étaient ce qui me manquait le plus en temps normal. Mes blessures ont pour effet de m'affaiblir un peu sur le plan du moral, et je ne parviens pas à me dire "je vais donner tout ce que j'ai !" dans ces conditions. Seule exception récemment, en jouant contre un membre de mon club, j'étais extrêmement motivé pour plusieurs raisons (match en équipe avec des partenaires que j'apprécie beaucoup, joueur que je perçois un peu comme un rival), et j'ai fait l'un de mes meilleurs matchs qui soit... Pour finalement perdre de 7 cartes à cause de mes 5 fautes (0 pour l'adversaire, alors qu'il tourne en général autour de 3-4). Mais notre niveau, à l'exception des fautes, était le même (ce qui m'a par ailleurs mis la rage au ventre, puisque j'ai perdu quasiment à mon meilleur niveau, chose qui m'arrive rarement ).
J'ai attaqué le tournoi dans un état d'esprit assez défaitiste, de même que tous les matchs d'entraînement qui ont précédé (à l'exception de celui dont je parlais). En entraînement, mes matchs étaient très mauvais (même si j'en ai gagné), et je pensais donc vraiment perdre au 1er tour. Et je savais que le fait de penser ça allait justement me faire perdre au 1er tour.
Mais la veille du tournoi, je croise par hasard un ami de Tokyo, qui m'apprend que le tournoi sera très difficile pour les C Kyuu, puisqu'il y aura 7 matchs... Et étrangement, c'est là que mon esprit de compétition parle, et ravive un peu la flamme en moi. Oui, le challenge représente une part importante de ma vie. Il faut dire que c'est pour ça que j'ai commencé le Karuta à l'origine.
Je sens que ma tension monte, et que le tournoi du lendemain s'annonce mieux. Comme j'ai un peu de temps libre, je fais un repérage des lieux autour de la gare, et j'entends un groupe chanter en live dans le sous-sol. Je m'y rends, et j'accroche de suite (l'histoire a un lien avec le Karuta, ne vous inquiétez pas). J'écoute jusqu'à la fin, puis je vais discuter avec les chanteurs. Ils me demandent pourquoi je suis là, je réponds que c'est pour un tournoi de Karuta (ils explosent de rire, réaction attendue ), l'un d'eux me répond qu'il en faisait en primaire, on sympathise, et ils me souhaitent bonne chance.
L'anecdote en elle-même est anodine. Mais le fait d'aller discuter avec des gens (qui plus est des artistes) que je ne connais pas m'a mis dans d'excellentes conditions. Et j'ai de base beaucoup d'admirations pour les gens qui vivent leur passion, ce qui m'a donné également du courage pour la suite.
C'est donc avec un état d'esprit on ne peut plus positif que je me suis rendu au tournoi, en me fixant des objectifs élevés... Pour finalement faire d'excellents matchs !
Je pense maintenant que vous comprenez le but de cette longue parenthèse conclusive : le mental représente tout en Karuta. Vous ne pouvez pas bien jouer en vous disant que ça vous fatigue, que même si vous jouez mal vous arriverez peut-être à vous en sortir. Pour bien jouer, il faut se dire que vous allez tout donner, et que grâce à ça vous aller gagner.
L'autre point qui en ressort, c'est que pour des gens comme moi ou comme "elle se reconnaîtra", les blessures/maladies représentent un double handicap. Non seulement elles nous affaiblissent réellement, mais en plus, elles nous font admettre que la défaite est normale puisque l'on a un handicap sérieux... Et le fait d'admettre ceci nous empêche de jouer dans les meilleures conditions.
Le Karuta demande une concentration extrême sur une période extrêmement réduite. Le seul sport qui s'en rapproche à ma connaissance (un niveau en-dessous, car l'aspect mémorisation n'existe pas) est le Baseball. Et dans ce sport également, on considère que "l'élan" (勢い) peut inverser le cours d'un match. Il suffit de renverser un peu la vapeur, et tout peut basculer.
En Karuta, il suffit d'être persuadé qu'on est en grande forme pour véritablement être en grande forme. Le tout est de trouver un moyen se mettre dans de bonnes conditions, et de se forger un bon moral.
Le plus gros gain pour moi dans ce tournoi, plus encore que d'avoir identifié certains de mes points faibles, c'est d'avoir compris que mes mauvais matchs étaient liés à 80% à mes pertes de moral. Mais en tournoi, je participe toujours en étant prêt à me détruire un bras si ça me permet de gagner, et la pression que je m'impose m'aide à rester concentré sur la victoire malgré la fatigue.
Donc pour tous ceux qui ont des hauts et des bas, voici mon ultime conseil : forgez-vous un mental d'acier. Aimez le Karuta, aimez jouer au Karuta. Il vous le rendra.