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Retour au Japon – Partie I

31/10/2019 – Amandine


Mercredi 16 octobre. Nous voilà arrivés, Quentin et moi, à l’aéroport d’Haneda. Un an déjà s’était écoulé depuis notre retour victorieux en France, suite au premier Sekai Taikai d’Otsu.

Pour ma part, l’année passée n’a pas été pas sans son lot d’embûches. Après avoir surmonté mon blocage psychologique suite à un traumatisme personnel, et retrouvé voire même surpassé mon niveau d’avant au Karuta, j’ai récolté une blessure à l’auriculaire de la main droite lors d’un entraînement à Paris, près de deux mois seulement après être rentrée en France. Diagnostique ? Déchirement osseux. Pas d’opération nécessaire, fort heureusement, mais plusieurs mois d’immobilisation puis de rééducation. En bref, un retour à la case départ et une grosse baisse de moral.

De nombreux entraînements à la maison avec Quentin, dont le soutien a été sans faille, m’ont permis de retrouver une certaine confiance en mes capacités. Mais le test, le vrai, serait ce nouveau séjour au Japon, le pays du Karuta. Que ce soit pour moi, ou pour Quentin, cette fois-ci, l’objectif était simple. De mon côté, je devais me convaincre que cette blessure n’avait pas eu raison de ma capacité à évoluer ; du sien, il tenait à prouver que son dan obtenu à Munich en juin dernier était mérité. Cela, nous comptions le vérifier au tournoi individuel d’Utsunomiya, en passant, nous l’espérions, C-kyuu pour l’une et B-kyuu pour l’autre, puis à la réédition du Sekai Taikai d’Otsu où nous remettrions notre titre en jeu. Dix jours d’entraînement intensif nous attendaient, et nous nous sentions plus ou moins prêt à y participer.

Le lendemain de notre arrivée, donc, dès 9h du matin, nous prenions part à notre premier entraînement au club de Suginami. Dans mon état de fatigue, je ne m’attendais à rien de bon, pourtant, mes deux premiers matchs se déroulèrent sans accrocs et presque sans fautes. Ma célérité semblait me revenir, soutenue par une concentration extrême. Quant au dernier, qui m’a opposée à une de leurs joueuses B-kyuu très rapide, je l’ai perdu de beaucoup, faute d’une endurance encore fragile et d’un esprit combatif réduit à néant. Pour Quentin, globalement, tout commençait pour le mieux.

Durant les jours qui ont suivi, nous avons alterné entre Suginami et Yokohama Hayabusa, allant parfois jusqu’à deux entraînements dans la même journée, toujours accompagnés par la pluie et le vent. Quentin a pu rapidement constater qu’au fil du temps, il gagnait en constance et en régularité. D’une certaine manière, moi aussi, même si plus subtilement et plus graduellement, la fatigue mentale jouant énormément sur ma façon de jouer.

Vingt-six matchs, au total, ont servi à nous préparer au tournoi d’Ustunomiya, réputé pour être difficile. Et enfin, le grand jour. La pression ne risquait pas de descendre de la journée pour moi car Yokoya-san, notre chère alliée et bienfaitrice, serait l’une des lectrices de ce tournoi aux côtés, notamment, d’éminents lecteurs tels que Nishida-san et Inaba-san. Il m’était impossible de ne pas repenser à ses mots que je traduirais grossièrement par “Vous avez intérêt à rester en lice jusqu’au match où je lirai”. Heureusement pour moi — et sentez bien là toute l’ironie car en réalité, je déteste ça — j’ai remporté mon premier match par forfait ! Pour ceux qui se souviennent de mon expérience au tournoi de Niigata, vous savez donc que c’est le meilleur moyen pour moi de m’engourdir. Qu’à cela ne tienne, j’étais cette fois-ci préparée psychologiquement et physiquement. Armée de mes tablettes de chocolat, d’un pull épais qui remplirait le rôle de masque de nuit, et d’un bon vieux roman de Jane Austen, j’ai alterné entre pauses repas, pauses stimulation de l’esprit et pauses dodo tout en observant, de temps à autres, Quentin mener son premier match en contrebas. Je dis bien de temps à autres, car à trop le regarder, je me serais plongée dans un état de stress dont je n’avais pas besoin.

Et justement, pendant que je m’efforçais par tous les moyens à ne pas plonger dans un état de léthargie, Quentin, lui, vivait une expérience des plus amusantes. Le tirage des matchs terminé, il était allé découvrir l’identité de son adversaire pour s’apercevoir que celui-ci venait du club redoutable de Waseda, tout comme le joueur contre qui il avait perdu au premier match du tournoi de Wakayama, l’année précédente. Et là, en s’installant sur le tatami, surprise, ils s’agissait du même jeune homme ! Quelles étaient les probabilités qu’il retombe au niveau C-kyuu, dans un tournoi de plus de mille joueurs, sur la personne même qui l’avait éliminé à Wakayama un an plus tôt, alors qu’ils étaient encore tous les deux D-kyuu ? Le plus drôle est que son adversaire l’a immédiatement reconnu. Mais trêve de plaisanteries. Pour espérer obtenir son dan, Quentin devait prendre sa revanche. Le match a commencé en sa faveur, car il a fait montre d’un bon niveau tandis que son adversaire a commis trois fautes. Ce dernier, pourtant, après un début difficile, est parvenu à resserrer l’écart même s’il n’a jamais totalement rattrapé son retard. Tout s’est poursuivi jusqu’à ce qu’il ne reste plus que deux cartes du côté de notre joueur, et huit chez son rival. La lecture a repris, et le son “I”, lui, a retenti. Quentin a alors effectué un balayage parfait sur son terrain. Dans son élan, il commençait à se lever tandis que la syllabe “NI” résonnait à son tour. Cette prise sur I(NI) était impeccable. A moitié debout, il a pu savourer la suite du poème...

“...GATAME”

...avant de comprendre que la carte lue était l’une des “KIMI” ! Sa surprise était telle qu’il s’est contenté de regarder, passif, la main de son adversaire protéger “KIMIGATAMEO”, l’une de ses huit cartes. Un moindre mal pour Quentin, car le poème lu était “KIMIGATAMEHA”. Pour notre plus grand plaisir, et le sien, il l’a finalement emporté de deux en prenant YU(RA) en face.

Deuxième match, lecture de Yokoya-san, et aucun répit pour Quentin qui a enchaîné directement après sa maigre victoire. Pas de nouveau sous le soleil, tout s’est déroulé comme lors du match précédent, à ceci près qu’il n’a pas laissé à son adversaire la chance de remonter. Deuxième victoire de neuf cartes.

Rien n’a été aussi simple de mon côté. En dépit de mes efforts, je me sentais tout de même un peu ailleurs et l’esprit cotonneux. Mais par un heureux coup du sort, mon match, qui devait se dérouler tout au bout du gymnase, a été déplacé dans la zone des C-kyuu juste derrière celui de Quentin. Cela signifiait aussi que j’étais à portée de vue de la lectrice. Aïe. Soyons simple, je n’étais pas en forme. Loin de là. Manque de concentration, et de réflexes ; je devais en plus me répandre en contestations qui n’avaient pas lieu d’être. A force de persévérance, je suis descendue à une carte pour moi, et deux chez mon adversaire. A l’annonce de WATA(NOHARAKO), une faute malencontreuse de ma part, résultat d’une protection ratée, a inversé la tendance. Mais je refusais de perdre alors que Yokoya-san lisait. WAGASO, enfin tirée par elle, m’a permis d’accéder au Unmeisen. J’ai triomphé en prenant O(OKO) chez mon adversaire. Mon honneur était sauf.

Troisième match. Installée avec mon nouveau concurrent, j’ai pu apercevoir avec étonnement Quentin quitter le gymnase au lieu de se placer sur le tatami. Comprenez ma confusion, on ne peut remporter de victoire par défaut au-delà du premier match sauf cas exceptionnel. Il m’a donc fallu attendre la fin de mon match pour qu’il m’explique que, suite à une erreur de calcul de la part des organisateurs, les participants restants dans le groupe des C5 étaient au nombre de 17 au lieu de 16. Seuls deux joueurs du groupe C5 se sont affrontés lors de ce troisième tour ; deux de ceux ayant obtenu une victoire par défaut le matin même. Pendant ce temps, les autres se reposaient. Le groupe C5 devait donc continuer ce tournoi avec un match de retard sur tous les autres, ce qui a amené à bien des confusions. Mais nous y reviendrons plus tard.

Quatrième match pour moi, et troisième pour Quentin. Une victoire de dix-neuf cartes m’avait ouvert les portes de cette rencontre décisive afin de passer C-kyuu. Hélas, j’étais épuisée mentalement, ce que je ne comprenais pas, d’ailleurs. Ce match a été plus affreux encore que le deuxième, et non exempt de fautes, ni même de contestations durant lesquelles un arbitre a dû, à plusieurs reprises, expliquer avec moi le principe de fautes communes à mon adversaire. Ma très belle remontée ne m’aura pas sauvée, et mon rêve de passage en C-kyuu s’est vu partir en fumée à cinq cartes près. Pour Quentin, rien n’était plus pareil. Ce coup-ci, c’est son opposante qui a creusé l’écart, ce qui l’a forcé à tout donner afin de décrocher une autre victoire de deux cartes.

A peine a-t-il eu le temps de remonter dans les gradins pour boire une gorgée d’eau et engloutir quelques morceaux de pommes, qu’il lui a fallu redescendre sur le tatami faire face à un nouvel adversaire. Tout se passait à merveille. Les prises s’enchaînaient avec une précision et une vitesse extraordinaires jusqu’à ce que la joueuse devant lui ne retrouve son rythme alors même qu’il perdait le sien. Bilan : défaite de six cartes, et avec ça, le rang de B-kyuu qui s’est envolé. Mais pour Quentin, ce résultat dépassait toutes ses espérances, prouvant par-là même qu’il méritait amplement d’avoir obtenu son dan à Munich, car en un unique tournoi C-kyuu, il avait surpassé de loin tout ce qu’il avait pu faire en sept tournois D-kyuu.

En dépit de ma déception, j’ai compris à tête reposée que j’avais moi aussi évolué, même si je n’étais pas passée C-kyuu. Après tout, je n’étais jamais allée aussi loin lors d’un tournoi. Et de manière générale, je n’avais jamais enchaîné autant de victoires lors d’entraînements que depuis mon arrivée au Japon. Mon nouvel ennemi était désormais la fatigue et l’endurance, mais ça. A mes insomnies, il me faudrait trouver une solution.

L’un des souvenirs les plus marquants de ce tournoi restera, bien sûr, les félicitations que Yokoya-san a adressé à Quentin aussitôt qu’il fût sorti du gymnase, ainsi que toutes celles qui ont suivi sur les réseaux. Il nous a vite fallu lui expliquer le micmac des organisateurs. Mais, déjà, nous avions un avant goût de ce que cela ferait d’un jour passer B-kyuu. Aussi, il y a toutes les belles rencontres que nous avons faites. Celle d’une joueuse japonaise qui a commencé le Karuta après avoir visionné le reportage fait sur Aurore, il y a quelques années. D’une autre, enthousiasmée par notre présence, qui nous a confié avoir refusé de passer C-kyuu durant trois ans malgré avoir remporté le match décisif à plusieurs reprises, car elle souhaitait absolument emporter un tournoi D-kyuu ; ce jour-même, à Utsunomiya, elle venait d’être promue B-kyuu suite à sa victoire en finale. Celle aussi, d’une mère japonaise et de sa fille, toutes deux amoureuses de la langue française, qui nous ont dit suivre les aventures de notre club sur notre page Facebook officielle. Et enfin, nos joyeuses retrouvailles avec Kazuki, de Waseda, le gagnant du tournoi de Munich de cette année.

Avec nos défaites, comme avec nos victoires, ainsi que notre quatrième place respective à Utsunomiya, nous fixons maintenant toute notre attention sur le Sekai Taikai d’Otsu... Enfin, nous le ferons après notre semaine de randonnée à Nikko !

A bientôt pour de nouvelles aventures.

Amandine

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