22/02/2022 – Gabriel
Dans la première partie de cette histoire, je raconte le parcours qui m’a amené en échange au Japon, et je ne parle finalement pas tant que ça de Karuta. Je pensais cependant que de montrer le cheminement qui m’a amené à faire aujourd’hui du Karuta presque tous les jours au Japon valait la peine d’être raconté, mais si vous êtes intéressé uniquement par la partie Karuta vous pouvez aller directement au paragraphe qui commence par « ICI »
Je pense que pour bien raconter il faut que je remonte au tout début, au premier jour où j’ai commencé le Karuta. Dans les premiers jours de septembre 2014, après avoir regardé Chihayafuru pour la deuxième fois, j’ai tapé les mots « Karuta en France » sur google et j’ai vu que ça existait. A l’époque j’étais plutôt du genre à dire non à tout, mais j’essayais de changer et je me suis dit que j’allais laisser une chance au Karuta.
A ce premier entrainement, j’ai joué contre Juliette qui rentrait d’un échange au Japon où elle venait de jouer au Karuta pendant un an. Je me souviens encore de ce tout premier match où j’ai pris Kokoroa et Amatsu chez-moi. Je me souviens encore d’où j’avais disposé ces cartes, Amatsu est d’ailleurs toujours resté à la même place mais Kokoroa a bougé. Ce qui est marrant c’est qu’encore aujourd’hui, ce sont des cartes sur lesquelles j’ai toujours plutôt une bonne réaction.
Pendant cette première année de Karuta, comme je l’ai raconté il y a longtemps, j’ai pu partir 2 fois au Japon, participer à 3 tournois D kyû et obtenir mon premier dan avec une deuxième place à Kagawa presque 1 an jour pour jour après avoir commencé le Karuta. Pour moi, de passer C kyu a donné tellement de sens à toute cette aventure du Karuta et dans le train du retour j’étais vraiment très heureux de ce que j’avais accompli, c’est surement la premières fois où j’ai vraiment été fier de moi.
Toujours pendant cette première année j’ai rencontré en plus de Juliette, Romain qui avait lui put faire 2 échanges universitaires. J’ai aussi rencontré Chika qui était B kyû à l’époque et qui faisait un échange en France. A l’époque j’étais en première année de Fac d’éco-g et l’idée d’un jour pouvoir faire un échange au Japon me semblait comme un rêve. Je n’ai jamais été un « bon élève » et les échanges étant réservés à ceux qui avaient les meilleures notes je pensais à l’époque que ce serait impossible pour moi.
L’année suivante en plus de ma fac d’éco-g j’ai commencé l’INALCO en première année. Le temps que je pouvais allouer au Karuta a bien diminué et comme j’avais un peu atteint mes objectifs de karuta de l’époque, progresser en japonais et faire perdurer le club de karuta en France était à ce moment-là pour moi des priorités bien plus importantes que de progresser en Karuta. Pendant 2 ans je me suis donc majoritairement concentré sur mes études, j’ai préparé les concours parallèles des écoles de commerces et j’ai pu intégrer.
Arrivé en écoles de commerce, faire une période à l’international était obligatoire pour valider le diplôme et je voulais absolument faire la mienne au Japon. De plus, le rêve de pouvoir un jour partir en échange était toujours quelque chose qui me trottait au fond de la tête et même si mes notes ne s’élevaient pas au plafond je me disais qu’avec mon bagage de fac de japonais et d’être inscrit dans le groupe japonais avancé pour ma LV2 en école pouvait jouer en ma faveur. Mon rêve de faire un échange au Japon et de pouvoir me donner à fond dans le Karuta comme Romain et Juliette était revenu à la vie ! J’ai donc pendant mes 3 ans en école de commerce postulé à deux reprises à un échange pour le Japon (Il y avait des partenariats avec 4 universités différentes et pas mal de places) j’avais fait un effort pour les notes et notamment pour l’anglais qui comptait pas mal, sur la moyenne retenue pour faire le classement je devais être entre 14 et 15/20, mais les deux fois ça n’a pas suffi. On peut dire que dans tous les cas il fallait tenter le coup, mais quand on met à jour la page et que l’on voit qu’on a été refusé, qu’on regarde autours de soit et que tout semble noir et blanc et sans saveur, il faut quand même un petit moment pour digérer l’info et s’en remettre. Ça fait vraiment mal.
Finalement, pendant mes 3 ans en école de commerce je n’ai pas pu faire d’échange au Japon. Par contre, j’ai pris ma revanche en faisant un stage au Japon d’un peu moins de 5 mois. Pendant ces 5 mois, j’ai fait du Karuta, mais entre le boulot que je faisais là-bas, le fait qu’à l’époque ce n’était pas forcément hyper facile d’un point de vue perso, je ne m’étais pas vraiment investit dans le Karuta. Je crois que j’ai finalement dû faire du Karuta tout au plus une fois par semaine pendant cette période et je n’ai participé à aucun tournois.
Tout cela nous amène en septembre 2020, en pleine crise du covid et il ne me reste plus que mon mémoire à rédiger pour valider mon école, à la suite de quoi je voulais partir travailler au Japon. Cependant partir travailler au Japon en plein covid c’est plus facile à dire qu’à faire et à l’époque, pensant que le covid n’allait pas durer, je me suis dit que j’allais temporiser un an en finissant ma licence de japonais pendant que je rédigeais mon mémoire d’école de commerce et, qu’à la fin de cette année-là, les portes du Japon se seraient réouvertes. Il faut aussi noter qu’en septembre 2019, le club français commençais à avoir une très bonne dynamique, un niveau vraiment sympa. Il y avait régulièrement des entrainements avec plus de 10 personnes. On avait un tournois international français ou l’on prévoyait de faire passer entre 2 et 4 personnes premiers dan auquel 16 français et 16 personnes de différents pays européens devaient participer qui était prévu pour avril 2020. Et à la suite de cela, en mai, 7 personnes de Karuta France devaient partir au Japon en groupe pour participer au tournois international de Karuta ainsi qu’à une série de tournois individuels. On peut vraiment dire que le club se sera pris le covid de plein fouet, mais je suis sûr que dès que le Japon va rouvrir ses frontières la motivation de tous nos joueurs en France sera à nouveau à 200%.
Pour revenir à mon histoire je me suis donc retrouvé en 3ème année de licence de japonais, à avoir pour projet de partir au Japon d’une manière ou d’une autre l’année suivante. Travail, échange, PVT, VIE, VIA ou JET je ne me fermais aucune option tant que cela pouvait me permettre de partir au Japon. En octobre, quand les candidatures pour les échanges se sont ouvertes, j’ai à nouveau postulé. Puis en décembre la réponse est arrivée et j’ai à nouveau été refusé. On ne va pas se le cacher, ça faisait toujours aussi mal. Ce n’est pas vraiment quelque chose auquel on s’habitue. J’avais pourtant parlé aux professeurs qui m’avaient dit que j’avais un dossier plutôt bon et je m’étais donné comme jamais je me suis donné pour la lettre de motivation. Cependant, l’inalco n’a pas tant de place en échange que ça et tous les gens qui n’avaient pas pu partir l’an dernier à cause du covid était des candidats prioritaires, il n’y avait j’imagine donc rien à faire. Comme on dit en japonais 仕方ない。Après avoir fini de rédiger mon mémoire en enfin complétement libre de mon école de commerce je commençais donc à réfléchir à un autre moyen de partir au Japon l’année suivante. C’est à ce moment là que, fin janvier 2021, un mail est arrivé.
C’était le mail qui annonçait la liste de tous les étudiants retenus en échange, et je dois avouer que quand j’ai vu ce mail au tout début de l’avais vraiment mauvaise comme je savais déjà que j’étais refusé. Ils proposaient de prendre rendez-vous avec les professeurs qui avaient décidé des échanges et c’est finalement plutôt rempli de colère que j’ai demandé un rendez-vous pour mieux savoir et mieux comprendre. Ce mail mentionnait aussi la possibilité de postuler à un échange avec la bourse MEXT directement par l’ambassade du Japon.
Le lundi suivant en début d’après-midi j’ai donc le rendez-vous sur zoom avec les deux professeurs qui bien évidement ne peuvent rien m’apprendre de plus que ce que je ne sais déjà en me disent que je peux toujours essayer de tenter la bourse MEXT. A cette époque-là, dans ma tête, je l’ai vraiment mauvaise et je me dis que j’en ai fini avec les déceptions. Cependant, j’en parle autours de moi et une amie que je ne pourrais jamais assez remercier me dit qu’il faut tenter le coup et m’aide à faire les démarches.
Après tout cela, tout se passe assez vite, mon dossier est finalement retenu pour l’écrit que 13 personnes passent, et le soir même je sais que je fais partie des 6 candidats convoqués à l’oral du lendemain. C’est à ce moment là que je commence à me dire que j’ai toutes mes chances car je sais d’un sempai que l’an dernier sur 6 candidats retenu 4 ont été pris. (Cependant deux d’entre eux ont reporté leur échange et deux ont décidé de partir malgré le fait qu’on soit en pleine pandémie.) Je prépare donc l’oral au mieux et étant vraiment content d’être arrivé jusque-là. Je passe l’oral de 20 minutes en japonais devant un Jury de 4 personnes de l’ambassade et 2 universitaires. Je trouve que l’oral s’est vraiment bien passé, mais les autres candidats sont tout aussi motivé que moi pour partir au Japon donc rien n’est joué.
Un mois plus tard j’apprends que je fais partie des 2 candidats retenu parmi les 6, mais que la décision définitive appartient au Japon (A ce stade-là, sur une année sans covid, une fois que notre candidature est recommandée par l’ambassade il y a 99% de chance d’être accepté par le Japon.) Cependant, je n’ai jamais vu l’autre candidat qui devait être acceptés aux réunions de MEXT par la suite et j’imagine que le Japon à couper les effectifs à cause du covid. J’appendrais d’ailleurs plus tard qu’au Pays-Bas c’était 2 amis qui étaient arrivés à cette étape de la bourse MEXT et que finalement un seul des deux a pu partir.
A partir de là commencent de longs mois de roller coaster et je passe mon temps à me demander si vais pouvoir partir ou non. Les frontières restent fermées pour les étudiants et les mois passent les uns après les autres. En juillet, j’ai finalement la réponse définitive et l’on me dit que je vais partir à Keio, mais je ne sais toujours pas si c’est vrai où pas. Il y a eu tellement de déceptions que je ne veux plus vraiment y croire. En septembre, on a une réunion d’information avec tous les étudiants de MEXT et l’ambassadeur du Japon en France nous promet qu’on va pouvoir partir, mais toute la question est de savoir quand. C’est finalement fin septembre qu’on apprend qu’il y aura 4 vagues de 200 étudiants envoyés au Japon entre début octobre et début décembre. (Pas 4 vagues de 200 pour la France mais bien pour le monde.) Pour ceux qui vont partir début décembre ce sera donc un peu plus de 2 mois de cours en ligne la nuit, c’est toujours sans savoir si et quand je vais pouvoir partir ou pas que je débute les cours à distance en octobre et quelques jours plus tard, on me dit que mon billet est prévu pour le samedi 9 octobre, arrivé le 10 octobre au Japon. Je prie littéralement en allant faire mon PCR d’être négatif. Et finalement je peux partir. C’est vraiment le stress jusqu’au dernier moment, tant que je ne suis pas l’avion, je ne veux pas vraiment y croire. Même s’il y a une quarantaine de 15 jours à nos frais, même s’il faut porter un masque en permanence dans la rue et malgré toute la fatigue accumulée avec les cours la nuit, je suis tellement content et soulagé d’être arrivé au Japon.
Pour que je puisse arriver à faire cet échange au Japon, malgré la période, il a fallu une série de coïncidences et j’ai vraiment eu énormément de chance. Cela valait vraiment la peine de tenter ma chance une quatrième fois, et dans la période actuelle, je n’aurais eu aucun autre moyen de me rendre au Japon. Je mesure d’autant plus la chance que j’ai eu quand je vois que tous les gens qui avaient postulé à un échange par l’université sans bourse MEXT n’ont pas pu partir cette année. Certains boursiers MEXT qui devaient partir en décembre n’ont pas pu venir non plus car le Japon s’est à nouveau fermé avec le variant Omicron. Quand je suis sorti de ma quarantaine le lundi 25 octobre, j’étais donc résolu à profiter un maximum de cette année au Japon. Et à faire si possible un maximum de Karuta.
ICI
Le mardi 26 octobre, le lendemain de la fin de ma quarantaine, après avoir fini les démarches administratives l’après-midi je vais directement à l’entrainement le soir même. Je joue contre une C kyu que je battais souvent de 2-3 cartes il y a 3-4 ans et là je perds de 18. Mon deuxième match est contre une C kyu avec un niveau beaucoup plus faible et je gagne d’une carte. Ce premier entrainement et surtout ce premier match sont une vraie leçon d’humilité. J’avais participé à quelques entrainements en France avant de partir au Japon et même si je n’avais pas un niveau excellent, je n’étais pas horrible non plus. Je me souviens d’avoir pensé : « le C kyu c’est plus ce que c’était », mais en même temps, c’est vrai que maintenant, la plupart des C kyu sont deuxième dan.
Les deux premières semaines je commence à retrouver petit à petit mon niveau, j’arrive à prendre ma revanche et à gagner contre la C kyu qui m’avait battu de 18. Puis vient cet entrainement du dimanche où je me retrouve à jouer contre Sagayama-san (5ème dan). Il n’y a malheureusement pas grand-chose à dire, je prends 6 cartes, je fais 2 fautes et lui une et je perds donc de 20 cartes. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas perdu d’autant et ça fait quand même assez mal.
Les semaines passent et les entrainements s’enchainent, je pense qu’au bout d’un mois, un mois et demi, je retrouve le meilleur niveau que j’ai pu avoir au Karuta. Je gagne 2 fois contre Yusuke-san un B kyu 3ème dan de l’association de Suginami qui est clairement meilleur que moi. J’ai beaucoup de chance pendant ces matchs, un des matchs il commet des erreurs parce qu’il est en train de s’occuper de l’Ariake (la machine dont on se sert pour lire les poèmes) puis l’autre match c’est Miyoshi-san qui fait la lecture, elle est récemment passée Akyu konin dokushu (Ce qui permet de lire dans des tournois Akyu et qui est le grade de lecteur le plus élevé avant sennindokushu). Je comprends assez facilement sa lecture et ce jour-là, je suis vraiment en forme, le match se passe très bien pour moi et en plus de cela je ne fais pas de fautes.
Au karuta, quand les étoiles sont alignées, même contre un adversaire significativement plus fort que soit, si on y croit jusqu’au bout, on peut finir par remporter la victoire. Après tout, il suffit de prendre 25 cartes voir un peu moins si notre adversaire fait des fautes. C’est un peu comme quand Arata gagne contre Shinobu dans Chihayafuru. Même si Shinobu est clairement meilleur à ce moment-là, elle est fatiguée, malade et les choses se passent vraiment mal pour elle dans le match, permettant ainsi à Arata de lui arracher une victoire serrée de 2 cartes.
Je continue les entrainements, mais j’ai l’impression de stagner. Je commence à me dire que les quelques excellents matchs que j’ai pu faire n’ont peut-être été qu’un gros coup de chance et le doute s’installe. Mais c’est dans ces moments là qu’il ne faut surtout rien lâché. Fin novembre et début décembre je fais mes premiers entrainements au club de Keio où je perds de 5/6 cartes et de 13 cartes contres les 2 meilleurs C kyu de là-bas. J’arrive à remporter d’une ou deux cartes des victoires contre d’autres C kyu et à battre leur débutant et leur D kyu, mais j’ai vraiment l’impression d’être à peine au niveau et après s’être entrainé vraiment beaucoup pendant un mois et demi et pile quand je pensais avoir retrouvé un niveau un peu solide, ça vient taper directement en plein dans la confiance. Je continue les entrainements jusqu’au vacances d’hiver et j’enchaine les victoires et les défaites. Un peu plus de victoire dans l’ensemble contre les gens de mon niveau, mais je n’ai pas l’impression de progresser et surtout, pour passer B kyu, il ne faut pas juste gagner contre des C kyu mais aussi être capable de gagner contre des B kyu, à l’idéal une fois sur deux, mais au minimum de temps en temps et être au-dessus de la grande majorité des C kyu. Je ne suis donc pas vraiment très satisfait de mes résultats à l’entrainement.
A la fin des vacances d’hiver j’ai été invité au camp d’entrainement de Gunma début janvier et, une semaine plus tard, le samedi 15, à lieu le tournois C kyu de Yoshino. C’est le premier tournois C kyu à Tokyo depuis presque deux ans.
Une semaine avant le camp d’entrainement de Gunma, je ne joue pas si mal, j’ai l’impression que la semaine de pause en hiver m’a fait du bien. Mon karuta est plutôt stable et je gagne les matchs que je dois gagner. C’est donc plutôt confiant que je j’essaie d’aller me coucher par trop tard le dimanche 9 (En effet départ à 6h en voiture le lendemain pour le camp d’entrainement de Gunma). On arrive sur le lieu en pleine campagne, l’air et frai et même si l’air de Tokyo avec la mer à coté est de bonne qualité, respirer l’air de la campagne, ça fait vraiment du bien. Je commence mon premier match contre une B kyu avec un Dash. (Cela veut dire qu’elle a déjà eu une deuxième place en B kyu et qu’elle peut donc passer Akyu avec une seconde deuxième place). La personne qui lit a une voix assez faible et la salle est grande, mais on ne se trouve pas si loin de la lecture, sa voix est assez aigue, mais le grand gymnase dans lequel 70 personnes sont en train de jouer au Karuta est parfaitement silencieux et j’entends vraiment bien tous les sons. Mon adversaire à la quarantaine et je pense que la lecture la handicape vraiment tandis que moi je fais le match de ma vie. Je prends beaucoup de cartes très vite et je gagne mon match de 18. C’est vraiment un feeling de fou et je me sens hyper motivé pour le match suivant.
Le deuxième match je me retrouve contre une B kyu avec un gros niveau et je peux vraiment me donner à fond dans le match. Globalement je fais un très bon match, mais je perds quand même de 8, la différence de niveau est juste trop écrasante et contrairement au premier match je n’ai pas l’avantage de la lecture.
Je joue le troisième match contre un C kyu plutôt en forme et on m’a dit avant le match que le lecteur venait de passer A kyu konin dokushu en même temps que Miyoshi-san, je m’attends donc à une lecture plutôt sympa. Le match commence et la lecture est parfaite. Cette lecture parfaite m’est cependant parfaitement désagréable. Je m’explique : Le rythme, les silences, la prononciation, il n’y a rien à redire, tout est vraiment clean, mais pour moi c’est beaucoup trop propre et j’ai l’impression que c’est une machine qui aurait été programmé pour produire la lecture parfaite du Karuta. Par exemple dans akino/akika, le i de akika est souvent plus effacé car il est entre 2 k, dans hanasa/hanano, hanano à souvent un son plus doux, il y a des tas de subtilités comme cela au Karuta qui varient d’un lecteur à l’autre et qui pour moi constituent une vraie partie de la beauté de ce sport. Mais avec cette lecture parfaite en un sens tout cela est effacé, et chaque son est le même, chaque ha, chaque ki, chaque na sont prononcés exactement de la même manière. C’est très impressionnant et dans un sens cette lecture est très « juste », mais pour moi c’est vraiment dur de bien prendre les cartes, je fais 3 fautes et en plus de cela mon adversaire à quand même un petit niveau. Je perds donc le match encore une fois de 8 cartes.
Le quatrième match, je me retrouve contre Tanaka Kouta qui est passé A kyu il n’y a pas longtemps (passé A kyu en ce moment avec le covid et l’interdiction de faire des tournois hors de sa préfecture et des préfectures adjacentes. C’est encore plus un exploit qu’en temps normal) Cependant il vient de gagner de seulement 4 cartes contre Chizuru-san, une C kyu de suginami contre qui je gagne souvent et je me dis donc qu’il n’est peut-être pas si en forme, je suis prêt à tout donner. C’est une étudiante à l’université qui doit avoir la vingtaine qui lit, sa lecture me va bien, mais pour mon adversaire elle est vraiment hyper facile à comprendre. Je réalise qu’il a surement fait un mauvais match comme moi juste avant à cause de la lecture mais là, il est clairement en forme et il enchaine les prises extrêmement rapides même s’il ne bouge pas si vite. Bouger lentement à prendre les cartes avec le timing le plus parfait possible c’est vraiment un grâle au karuta et quand on voit quelqu’un enchainer ce genre de prise c’est assez impressionnant. Puis vient une prise dont je me souviendrais toute ma vie. Il y a watanoharako chez moi et watanoharaya chez lui. Quand des cartes longues sont séparées de la sorte, en général, chacun vient couvrir la carte de son adversaire. Mais là, j’entends « wata » et je commence à me diriger vers sa carte, puis vient le « no » et je commence à accélérer pour me placer au-dessus, mais avant que j’ai le temps d’accélérer ou même de faire quoi que ce soit il avait déjà pris sa carte, sur le début du « no » la carte était dans les airs, et sur le ha il était en train de se lever et d’aller ramasser la carte. Pour moi ça avait toujours été impossible de prendre une carte longue avant la syllabe déterminante sans prendre un risque beaucoup trop important, alors de voir quelqu’un prendre la carte aussi tôt alors que sa jumelle est en jeu et d’avoir la confiance pour aller la ramasser avant d’entendre la syllabe déterminante sur le coup ça m’a fait halluciner. Je finis le match par une défaite de 16 cartes. Et je lui demande ce qui s’est passé sur « watanoharaya », et il m’explique que le « NO » de « watanoharaya », surtout quand c’est une fille qui lit est particulièrement haut dans les aigues par rapport à celui de « watanoharako » et que ces derniers temps il prends souvent les cartes comme cela. Est-ce qu’il fait vraiment la différence avec certaines lectures ? Est-ce qu’il était sûr à 100% ? Est-ce qu’il a eu un coup de chance ? Est-ce que c’est un pari mais qu’il y arrive quand même 8 ou 9 fois sur 10 ? Difficile à dire. Mais en tout cas, vu la manière dont il a agi et vu comment il est allé ramasser la carte, il était convaincu à l’intérieur de lui-même que c’était la bonne carte et il avait raison. Après plus de 7 ans de Karuta je découvre encore de nouvelles chose et chaque adversaire à un style unique, je crois que je ne me lasserais jamais de ce sport.
Je commence mon cinquième match et mon adversaire vient de gagner de 3 cartes contre Yusuke-san (Un B kyu 3ème dan de suginami qui a un bon niveau), je pense donc tout naturellement qu’il est aussi B kyu, il est aussi très jeune et extrêmement calme, mais quand même très rapide et attaque très bien les lignes du bas, malgré qu’il soit quand même assez petit, en somme, un karuta très stable, très calme et assez impressionnant pour quelqu’un de 13-14 ans. Cependant c’est à nouveau la lectrice du premier match et je suis vraiment bien concentré. Je ne fais pas de fautes et je fais beaucoup de bonnes prises, j’arrive bien à attaquer et je prends des cartes chez lui à une très bonne vitesse. Cependant il ne fait pas de fautes non plus, et il est trop rapide pour que j’arrive à défendre convenablement mes lignes du bas. Je finis donc par perdre de 4 un match dont je suis globalement très content et où je pense avoir mieux jouer qu’à mon habitude. C’est la semaine suivante à l’entrainement du jeudi soir à suginami que j’apprendrai qu’il est en fait D kyu. Il y a de plus en plus de joueur D kyu et C kyu dont le niveau a vraiment beaucoup augmenté ces deux dernières années mais qui n’ont eu l’occasion de participer qu’à un ou zéro tournois et qui ne montent donc pas malgré leur niveau clairement excellent. Pour ceux qui parlent japonais on entend souvent D級詐欺 (D kyu sagi).
Le résultat du camp d’entrainement n’est donc pas brillant, 1 victoire pour 4 défaites, mais je suis pourtant vraiment content du karuta que j’ai réussi à produire ce jour-là. Je commence presque à me dire que j’ai mes chances pour le tournois de Yoshino du samedi suivant, après tout 2 victoires et j’ai mon deuxième dan et 3 victoires et je suis B kyu, à l’entrainement ce n’est pas rare que j’enchaine autant de victoire contre des C kyu, donc pourquoi pas.
Le vendredi soir, je me couche tôt et je dors assez mal, pourtant, quand je me réveil le matin je ne suis pas du tout fatigué. Le trac mélangé à l’adrénaline a coupé ma fatigue et rend mes sens plus vifs. Je vais au tournois et je dis bonjour à droite à gauches aux personnes que je connais, mais j’ai surtout la pression qui monte de plus en plus. Je crois que je n’ai qu’une peur c’est de perdre au premier match, et c’est littéralement le sort d’une personne sur deux qui se trouve dans la salle.
Je commence mon match et la fille contre qui je joue qui doit avoir entre 15 et 20 ans (Je sais c’est une fourchette large, mais vraiment impossible à dire). On dispose les cartes et contrairement à un match d’entrainement il ne me faut que 2 petites minutes pour tout mémoriser, je lis les cartes et elle se grave instantanément dans ma mémoire. En temps normal, à l’entrainement, pour mémoriser au premier match, il me faut entre 7 et 10 minutes, 5 si j’essaie de tryhard pour mémoriser rapidement. Mais je pense que l’état de stress du tournois fait qu’il est difficile d’oublier les cartes après les avoir lues une fois. Le pire c’est que ce sont des cartes avec les mauvais numéros, je me souviens que c’était quelque chose qui m’avait bien perturbé à une certaine époque, mais je crois que ce jour là j’étais trop stressé pour que ça me fasse quoi que ce soit. Je vais aux toilettes en révisant les cartes dans ma tête encore et encore. Je reviens devant le terrain et j’essaie de me détendre tout en révisant les cartes en boucle, un peu comme un cycle sans fin. Enfin le match commence et mon adversaire enchaine deux supers prises. Elle joue clairement bien, elle a du karuta dans les pattes et elle n’est pas venu au tournois pour déconner. Pendant le premier quart du match elle prend l’avantage. Puis, après cela, je prends un peu mon rythme. On est tous les deux stressés et ça mène à des fautes. Je conteste une carte longue chez elle que j’étais convaincu d’avoir pris légèrement plus tôt, mais je m’en suis voulu après, en y repensant après le match je me dis que je ne pouvais pas être sûr à 100%, que le timing était vraiment ri craque, je crois que de perdre cette contestation l’a perturbé plus que moi et elle a fait une ou deux fautes justes après. Finalement je gagne le match de 5 ou 6 cartes (mes souvenirs me jouent des tours). Je me souviens de la dernière carte que j’ai prise en bas à droite chez moi, il me semble que c’était su ou shi et j’étais en train de me dire qu’il ne fallait surtout pas que je me fasse prendre ma dernière carte quand elle a été lue. Je l’ai balayée instantanément , puis le salut « Arigatougozaimasu » et je me souviens d’avoir regardé le plafond et d’avoir eu l’impression de respirer pour la première fois depuis longtemps.
Je reviens vers mes affaires et je parle un peu aux gens autours, pas mal de personnes de suginami ont perdu mais à Keio 5 personnes sur 6 ont passées le premier tour. (Pourtant le C kyu qui a le meilleur niveau à perdu le premier tour contre un adversaire qu’il a lui-même qualifié de « pas si fort », je m’attendais vraiment à ce qu’il passe B à ce tournois, mais ce n’est pas toujours aussi simple.)
Le répit est de courte durée. Le deuxième match ne se fait pas attendre et je vois que mon adversaire du premier tour à gagner son premier match de 20 cartes. Certes certaines personnes craquent en tournois, mais ça veut dire qu’il est reposé, qu’il a confiance en lui et qu’il ne doit pas être mauvais non plus. Je me souviens d’avoir poussé un petit soupir en voyant ce chiffre. On dispose nos cartes, on mémorise et le match commence. C’est Gomi-san à la lecture et même si à l’entrainement je n’aime pas trop l’enregistrement l’entendre en vrai c’est quand même clairement autre chose. Le match commence, et comme prévu mon adversaire à vraiment un bon niveau, il est meilleur que moi et il prend beaucoup de cartes très vite, en plus de ça le match avance vraiment rapidement (peut-être qu’ils ont retiré des cartes mortes pour que le tournois ne se termine pas trop tard), il y a des cartes très close qu’on conteste un peu, mais aucune injustice dans l’ensemble et de toute manière je finis par perdre le match de 10 cartes donc ça ne s’est pas joué de peu.
Cet adversaire qui m’a battu de 10 cartes ne gagnera pas son troisième match et ne passera donc pas B kyu, soit il a stressé pour le match décisif soit il y avait vraiment des monstres à Yoshino dans le tournois ce jour-là. Personne de suginami ne passera en B kyu et une seule personne de Keio obtiendra une troisième place. La seule de mes connaissances à passer B kyu à ce tournois et donc une joueuse contre qui j’ai joué 2 fois à l’entrainement et que j’ai battu à deux reprises et clairement pas celle avec le meilleur niveau. Quand les tournois sont peu fréquents et les écarts de niveau de plus en plus grand, j’imagine que ce genre de chose est voué à se produire.
Depuis ce tournois j’ai conservé ma motivation pour le Karuta et depuis mi-février j’ai l’impression de commencer à faire de vrais progrès, je gagne plus souvent contre des B kyu et même quand je perds contre eux je fais souvent des matchs très serrés. J’ai commencé à réfléchir à des nouvelles manières de mémoriser et d’organiser les cartes dans ma tête qui ont l’air de mieux marcher pour moi. J’ai aussi mis en place des nouvelles stratégies pour déplacer et réfléchir aux cartes à envoyer. Ces derniers temps j’arrive aussi à être plus concentré et ça se sent dans le résultat des entrainements. Les progrès que je n’ai pas vu pendant 3 mois sont en train de venir petit à petit et ça fait vraiment plaisir.
Depuis que je suis arrivé au Japon il y a 4 mois j’ai joué à peu près 200 matchs et j’ai beaucoup pensé au Karuta et à ce que je pouvais faire pour être meilleur. Si les tournois reprennent je veux vraiment pouvoir être au top de ma forme et n’avoir aucun regret. Il me reste 5 mois à passer au Japon et pour moi je pense que ce sera 5 mois de Karuta, même si je ne peux pas faire un seul tournois en plus, tout le niveau et l’expérience que je peux prendre maintenant et bonne à prendre et ne sera pas perdu.
Je vous laisse avec une photo de la mémorisation pendant le match décisif pour passer B kyu à Yoshino, je peux vous dire qu’on sentait la pression montée petit à petit et que pendant le match tout le monde était encore plus concentré que d’habitude. Et un peu plus chill, 3 photos de la campagne japonaise à la sortie de l’entrainement de Gunma, le ciel était vraiment magnifique.
Si vous avez lu jusqu’ici merci beaucoup et à bientôt pour d’autres récits de Karuta.
Gabriel
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