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Compte rendu du Tournoi à Ishikawa

07/10/2013 - Romain


Certains étaient au courant, mais à l'origine, je devais participer à un tournoi à Kagawa (dans l'île du Shikoku), mais ayant raté le bus de quelques secondes pour de multiples raisons dont certaines tenant de la pure malchance, j'ai raté une grande occasion de passer 2e Dan. Un peu déprimé pour le coup, j'ai fait plusieurs entraînements depuis, dont vous avez pu lire des compte-rendus détaillés. Hier, je suis allé dans la région de Ishikawa, pour écouter un groupe de musique que j'avais rencontré durant le tournoi de Toyama (4e place), mais surtout pour participer à un tournoi. L'avant-dernier avant une assez longue pause.

Comme une fois sur deux, je me retrouve tout seul de mon équipe, et je vais donc à la recherche d'amis d'autres universités (par chance, Fukui a été ma seule expérience de tournoi vraiment seul. Dans tous les autres tournois j'avais au moins quelques amis de Kyôdai). Malgré un manque de sommeil flagrant (malade la veille), je me prépare mentalement en écoutant des musiques qui me mettent en condition de tournoi, et l'aventure commence...

-1er Match : Victoire par défaut. J'ai vraiment un nombre de victoires par défaut impressionnant, mais aujourd'hui j'arrive à ne plus perdre en motivation à cause de ça, ce qui est une bonne chose. Je discute avec Kyôtô-san de Kyôdai, qui se plaint souvent de toujours affronter des brutes au premier tour. Je blague avec lui sur le fait que puisqu'il a obtenu sa première victoire par défaut, il va pouvoir commencer dans de bonnes conditions en affrontant le Meijin dès le second tour. Il me répond en riant qu'il faudrait quand même qu'il soit sacrément poisseux.

-2e Match : J'affronte une lycéenne au niveau plutôt bon, assez inquiétant d'ailleurs pour un premier match. Peu de cartes sortent de mon côté, ce qui m'empêche de prendre mon rythme, et surtout, le lecteur n'arrive pas à bien prononcer le son "T", ce qui fait que j'entends "KACHIWAKARE", "KAKINOOTO", et je bug pas mal. Par miracle, mon adversaire a d'ailleurs fait dans mon incompréhension la plus totale une faute sur "KACHI" en balayant "TAKI". Sur le coup je me suis demandé pourquoi, et ce n'est qu'après que j'ai compris. En passant, mon adversaire était tellement timide que je culpabilisais presque à l'idée de contester des cartes, et j'en ai cédé 2 à cause de ça (Alice, ne pense pas que ça marchera avec toi !).

Le match aura été serré durant la première partie, et si au milieu de partie mon adversaire fatigue, elle se rétablit rapidement ce qui me fait douter sur mes chances de gagner rapidement. Malgré tout, je reste pour ma part solide, bien que mon karuta n'atteigne pas non plus son plus haut niveau (ce qui est bon signe en soi, car j'ai tendance à jouer moins bien lors du match qui suit celui où je joue très bien). Une victoire de 11 cartes, avec un match correct de mon côté.

A côté, Kyôtô-san perd de 23 cartes face au Meijin.

-3e Match : Je m'installe, et voit de nouveau une lycéenne se placer devant moi (je joue beaucoup contre des lycéennes). Je me

dis qu'elle a un nom bien masculin pour une fille, quand finalement elle me pose la question "c'est bien le match pour les D Kyuu ici?". Petit bug, et quand je lui dis non, elle panique et change d'endroit. Les deux joueurs ayant le même numéro avaient réussi à ne pas voir la lettre devant. Et finalement, c'est un homme qui a la quarantaine que j'affronte (ne jamais sous-estimer les plus âgés, ils ont généralement plus d'expérience). Durant les 15 minutes de mémorisation, je me demande d'ailleurs comment ça ce serait passé s'ils n'avaient pas réalisé à temps l'erreur (défaite par forfait en toute logique).

Je commence par prendre 1 carte très vite, en balayant simultanément une carte de l'autre côté. Le genre d'erreur qui fait mal en début de match. Je prends la carte suivante rapidement également, puis une 3e avec une vitesse très relative... Et je réalise que mon adversaire réagit très peu. Finalement, il se réveillera en milieu de partie, et mais pas suffisamment pour m'inquiéter. Victoire à l'aise de 17 cartes. Le fait est que j'étais quand même plutôt en forme, même si pas encore assez pour m'auto-détruire au tour suivant. Du moins, j'étais dans cet état d'esprit.

-4 Match : Mon adversaire est une lycéenne du club Akinotano, un club réputé installé à Shiga (ômijingu). Voyant mon nom sur la fiche et la facilité avec laquelle j'ai remporté mes matchs, elle rit avec sa copine disant qu'elle va perdre, et semble assez excitée à l'idée de m'affronter (en tournoi je passe souvent pour le type à ne pas affronter, donc ça en motive certains au contraire).

Le match commence, et je sens malheureusement tout de suite la différence avec le 2e match (la 1ère restait plutôt forte). Je perds la première carte, ASABORAKEA, chez moi, sur un coup de malchance monstrueux : je vise ASABORAKEU chez elle, sauf que certaines personnes à côté avaient collé les deux cartes. Résultat, sur ASABO, certains explosent le tatami, et couvrent complètement la lecture de la carte, si bien que je n'ai rien compris. Au final, sur la 10e syllabe, mon adversaire prend la carte chez moi.

Un peu déboussolé, je me fais immédiatement prendre "ASABO" qu'elle avait envoyé chez moi, car je l'avais encore en tête chez elle. Puis de nouveau, les cartes lues chez moi se font peu nombreuses, et je me retrouve avec un certain retard. Je joue toutefois normalement de mon côté, j'arrive à mieux gérer mon moral (grâce aux techniques évoquées quelques jours plus tôt), si bien que le match reste serré. Puis je commence à sortir le grand jeu. Puisque les cartes ne veulent pas sortir chez moi, je passe en mode offensif, grâce à ma nouvelle posture. Et là, je commence à faire des prises assez exceptionnelles, notamment un HITOMO magnifique chez l'adversaire (ces derniers temps je suis excellent dessus), ou encore un superbe YAE, toujours chez l'adversaire. Les quelques cartes lues chez moi sont défendues sans faille, ce qui rend mon attaque d'autant plus agressive (l'adversaire ne pouvant pas installer son rythme).

Le match avance, et alors que nous étions presque à égalité en milieu de partie, j'arrive à 1 carte face à 14. Je regarde sur le côté, je vois des amis assister à mon match, je commence à penser à ce que je pourrai dire quand j'aurai gagné, avec quelle carte je pourrais bien terminer le match... Bref, je fais exactement ce qu'il ne faut pas faire.

J'essaie de me reprendre, de vérifier les cartes pour penser à autre chose, et coup du sort... la carte qui tombe est TACHI, alors que je venais tout juste de regarder TAKI. Dans la précipitation je fonce, faute, on arrive à 2-13. Et ceux qui ont un certain niveau savent que ce genre d'erreurs peut malheureusement complètement changer le cours d'une partie. Car il suffit de perdre en concentration pour ne plus rien prendre et enchaîner les fautes. Et mon adversaire commence par prendre parfaitement une carte de son côté, alors que je ne réagis pas du tout. Et là, je ne le sens plus... Je me demande ce que le Dieu du Karuta attend de moi pour me faire faire une faute à un moment pareil... et finalement je couvre de façon magistrale OOE (couverte sur "OO", prise sur "OOE".

Une carte morte est lue, je couvre sa jumelle. Une nouvelle est lue, et je suis à deux doigts de faire une faute, mais je couvre à nouveau de justesse.

Et enfin, je tiens ma réponse. Je sais enfin ce qu'attendait de moi le Dieu du Karuta. Il voulait simplement que je termine ce match sur cette carte. Il voulait que je gagne l'un des matchs les plus importants de ma vie de joueur sur "TSUKI". Sans que l'adversaire n'ait même le temps de réagir, mon corps se penche naturellement vers l'avant, et j'envoie voler à l'autre bout de la salle TSUKI. Et là je réalise. Je salue mon adversaire. Je me lève. Je vais chercher TSUKI. Je prends la carte dans ma main. Puis en regardant mes amis dans l'estrade, je serre le poing et ne peux m'empêcher de lâcher un "Yosshaaa ... !!"

Nous sommes le 06 octobre 2013. Romain Edelmann devient le premier Européen 2e Dan de Karuta, en prenant la carte TSUKI.

Avoir des cartes "fortes" n'est pas forcément indispensable. Mais il faut avouer qu'avoir une carte qu'on est sûr à 100% de prendre, dans les moments difficiles, c'est le soutien psychologique le plus précieux qu'on puisse avoir.

-5e Match : Nous sommes 2 joueurs à venir du Kansai, et 2 à venir d'Ishikawa. Afin d'éviter les affrontements entre joueurs de la même région, j'affronterai un joueur d'Ishikawa.

Mon adversaire a gagné son match précédent avec une grosse avance. Et de nouveau, je sens la différence : il est encore d'un autre niveau. De mon côté, je sens une baisse de régime, notamment due au fait que la pression est un peu descendue, mon 2e Dan étant déjà obtenu. Un match très serré globalement, avec quelques erreurs de chaque côté, et je parviens à mener un peu le jeu en attaquant de manière chirurgicale la partie basse du terrain de l'adversaire, grâce encore une fois à ma nouvelle posture (avant j'avais beaucoup de mal). Cela me permet de compenser mes oublis.

Et nous arrivons en fin de partie, en alternant les retournements de situation, suivant souvent des fautes (j'ai notamment fait une faute très douloureuse en me faisant simultanément percer mon terrain).

Je parviens à prendre l'avantage, 3 à 6, mais je sens la fatigue peser sur moi, et mon adversaire est dans le rythme. Et autant dire qu'une différence de 3 cartes, malheureusement, ce n'est rien quand on commence à se perdre. Je me fais prendre facilement une carte de mon côté, en visualisant maladroitement les cartes du côté adverse. C'est maintenant sûr : il veut renverser la situation, et il va le faire. Je fais donc un pari risqué : se concentrer plus sur les cartes de mon terrain (I, U et HI), et balayer à toute vitesse si la 1ère syllabe sort. Carte morte, puis par chance (?), "I" est lue... Pourquoi un (?) ? Parce que mon adversaire réagit aussi vite que moi, et lorsque la carte est envoyée volée, il se précipite pour aller la chercher en lâchant un "Yosh !!", comme pour me faire savoir que c'est sa prise.

J'hésite un instant, je revisualise la scène, mais non, je suis bien persuadé de l'avoir prise avant, ou au moins en même temps. Mais mon adverse n'en démord pas. Il m'assure même que je n'ai pas pu la prendre avant car j'ai écrasé sa main, sensation que je n'ai absolument pas eu.

L'arbitre vient, la discussion continue. Il maintient que j'ai écrasé sa main. Je réplique que même si j'ai touché sa main, ça ne veut pas dire que je n'avais pas touché la carte avant. Avec l'adrénaline, s'expliquer dans un bon japonais devient vraiment difficile. Heureusement, l'arbitre précise qu'effectivement, cet argument n'est pas valable. Moi je lui dis que si j'avais vraiment écrasé sa main, alors la carte n'aurait pas volé dans la direction où elle a volé. L'arbitre me dit que cet argument n'est pas valable. (En fait il l'était, car si j'avais écrasé sa main, alors il aurait été physiquement impossible que j'envoie voler la carte)

Au final, aucun de nos deux arguments n'est valable, et on maintient tous les deux qu'on a été plus rapide. Et après un long silence, mon adversaire cède, mais j'avoue ne pas être à l'aise, car son assurance a semé le doute en moi. Et j'ai peur de ne pas être capable de jouer efficacement après ça. J'arrive pourtant à prendre la carte suivante chez lui, pas d'un mouvement très vif, mais en la couvrant très tôt. Et quand il ne me reste plus qu'une carte...

L'une des 3 cartes que je visais sort, à nouveau YAE (devenue YA), et je la prends sans qu'aucune contestation ne soit possible.

Je gagne donc la partie avec 5 cartes de différence.

Ce dernier point mentionné est important. En fin de partie, il peut être bon d'abandonner certaines cartes (celles sur lesquelles on est moins bon, on celles sur lesquelles l'adversaire semble bon). Tout viser peut nous faire s'emmêler les pinceaux, et il faut prendre les cartes avec une vitesse irréprochable. C'est pour ça que personnellement, je vise généralement un côté de l'adversaire (droite ou gauche), et ma carte. Si je suis peu en forme, je ne vise que la moitié du terrain adverse, et je me contente de couvrir ma carte si la carte lue n'est pas en face.

Après le match, un spectateur viendra me voir pour me demander finalement ce qu'il était advenu de la prise sur IMAHA, et je lui répondrai que mon adversaire a cédé. Là, il me dit "ouf, ben heureusement. Il est parti très vite avec une grosse assurance, mais vous avez juste été trop rapide, et quand il est arrivé vous aviez déjà balayé la carte".

Je me suis demandé pourquoi il avait eu cette impression d'avoir ma main au-dessus, mais en fait je pense que ma main a un peu flotté après que j'ai envoyé la carte voler, et c'est à ce moment là qu'il est passé par dessous.

Mais c'est là que je me dis que les matchs A Kyuu doivent faire peur, tant ce genre de situations doivent être nombreuses.

A noter que mon adversaire aura souvent utilisé des emplacements étranges pour ses cartes, en plaçant beaucoup de cartes au milieu du terrain.

-6e match : finalement, séparer les deux joueurs d'Ishikawa aura été une erreur, car les deux finalistes viennent du Kansai. Mon adversaire est de nouveau un homme de la quarantaine, du club Akinotano. Je sens là encore qu'il mérite sa place de finaliste, et il est d'une vitesse spectaculaire sur les 1 syllabes. Il me ressemble d'ailleurs beaucoup, car il fait des prises dans des positions parfois un peu étrange. Je me sens meilleur, mais je commets des fautes impardonnables, en balayant dans le vide sur pas moins de 4 cartes chez moi (mon épaule part sans le bras, je n'ai vraiment pas compris), et 2 fois chez l'adversaire, ce qui fait particulièrement mal (ça revient à faire 6 fautes). Quelques fautes de chaque côté, et nous obtenons un match très serré. Mon adversaire a la particularité de partir très tôt, et de souvent couvrir les cartes avec son bras plutôt qu'avec sa main. Mon manque de confiance dans ma mémorisation (la fatigue a beaucoup joué) rend mes prises moins incisives, et je passe mon temps à prendre les cartes en Osaete (je les écrase au lieu de les balayer). Mon timing est très bon, mais cela m'empêche d'imposer mon rythme. De son côté, mon adversaire a fait des prises spectaculaires sur les MO chez moi, et a réussi à me prendre les deux alors que j'étais franchement réactif.

En cours de partie, NAGEKE est lue, et dans un mouvement bizarre, je vais l'écraser avec le côté de mon index, dans l'interstice laissé par la main de l'adversaire. Une discussion s'ensuit, durant laquelle j'affirme que j'avais pris la carte avant avec mon index, même si la position était bizarre. Finalement, je demande à l'arbitre (qui regardait tout le match, finale oblige), et elle répond que la prise est pour mon adversaire, car, je cite, je n'ai "pas touché la carte". Je dois avouer que là ça m'a fait rire jaune. Qu'elle me dise qu'il avait déjà touché la carte, je veux bien. Mais qu'elle ne vienne pas me dire que je n'ai pas touché la carte, car ça je l'ai bien vu. En outre, elle ne pouvait rien voir car sa main cachant justement la mienne de son point de vue.

D'ailleurs, plus tôt, on avait justement eu un débat sur une faute que j'aurais commise. J'avais foncé de mon côté, et me cognant contre sa main, j'ai dérapé et touché des cartes chez lui. Il veut m'envoyer une carte, je lui réponds que c'est par effet que j'ai touché la carte (honnêtement, dans mon esprit c'était vague, je n'ai pas bien compris si j'avais touché la carte ou non, mais je savais que je lui étais rentré dedans), mais lui m'affirme qu'il ne m'a pas touché. Je remarque que beaucoup de personnes ne réalisent pas qu'on les touche. Finalement, l'arbitre dira que je n'avais pas touché les cartes, et que c'était juste mes cartes qui les avaient percutées. Honnêtement, je pense que c'était moi, mais sous l'effet de sa main. Le résultat est le même, mais ça prouve qu'elle a affirmé 2 choses sans savoir.

Et ce qui devait arriver arriva : 2-2, et le vent souffle de son côté. De mon côté, j'ai "HA", un son que je prend très mal sur la première syllabe, et CHIHA. Il restait un CHIGI, et par conséquent, j'avais peur de ne pas pouvoir la prendre rapidement.

Mon adversaire a ASAJI et KONU (il restait KOI). N'ayant pas confiance en ma capacité à défendre mes cartes, je me focalise sur le terrain adverse... Et ça ne manque pas, mon adversaire envoie voler les cartes de mon terrain sur CHI, et je me dis alors que je vais perdre... Quand finalement j'entends mon adversaire lâcher un petit cri de surprise : la carte lue était "CHIGI". C'est donc une faute de sa part. Je lui envoie alors "HA" en tant que carte sacrifice, et je parie sur le fait que l'un de ses cartes à 2 ou 3 syllabes sera lue. Dans le cas contraire, j'aurais protégé.

Sur le son A je me précipite de son côté, et envoie violemment voler la carte dès que j'identifie ASAJI.

Victoire de 3 cartes.

Et par là-même, je deviens le premier Européen à obtenir la 1ère place à un tournoi.

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